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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

à messire Guillaume Helmen, à messire Thomas Trivet, à messire Nicolas Brambre, à messire Robert Trisilien, à messire Miquiel de la Poule, à messire Jean de Sallebery, à messire Jean de Beauchamp, qui ont gouverné le roi et le royaume. Si cils rendoient compte des levées que ils ont fait en Angleterre, ou si on leur faisoit rendre, le menu peuple demoureroit en paix ; et si seroient les frais payés que on doit, et si auroit on or et argent assez de demourant. »

Quand telles paroles furent ouvertes et mises avant, les oncles du roi en furent grandement réjouis, car c’étoit pour eux que on parloit ; car tous ceux que j’ai nommés leur étoient trop durs ; et ne pouvoient avoir bout ni volée ni audience en la cour du roi pour eux. Si aidèrent à remettre sus ces paroles, et pour entrer en la grâce du peuple, à dire : « Ces bonnes gens qui ainsi parlent sont bien conseillés, si ils veulent avoir compte et si ils se défendent de non payer, car voirement doit avoir en la bourse du roi ou de ceux qui l’ont gouverné grand’finance. » Petit à petit ces paroles se monteplièrent ; et le peuple qui se défendoit de non être taillé ni le royaume aussi, s’enhardit grandement de parler et de défendre, quand ils virent que les oncles du roi étoient de leur accord et les aidoient à soutenir, et l’archevêque de Cantorbie, le comte de Sallebery, le comte de Northonbrelande et plusieurs barons d’Angleterre.

Adonc fut dissimulée celle taille ; et fut dit que on n’en feroit rien pour celle saison jusques à la Saint-Michel qui retourneroit. Chevaliers et écuyers qui cuidoient avoir argent et or n’en eurent point, dont ils se contentèrent mal sur le roi et son conseil. On les apaisa le mieux que on pouvoit. Le conseil du roi se départit mal duement, je ne sais comment ; les uns ça et les autres là. Le roi ne prit point congé à ses oncles, ni ses oncles à lui. Le roi fut conseillé que il s’en allât en la marche de Galles et là se tint un temps, tant que autres nouvelles lui vensissent. Il répondit : « Je le vueil. » Si se départit de Londres sans prendre congé à nulluy, et enmena en sa compagnie tout son conseil, les dessus nommés, excepté l’archevêque d’Yorch, qui s’en alla arrière en son pays sur son archevêché ; dont trop bien lui chéy, car si il eût été avecques les autres, quand le trouble émut, je crois que on eût fait de lui ce que on fit de tout le conseil du roi, si comme je vous recorderai temprement en l’histoire. Mais aussi faut-il parler de France comme d’Angleterre, quand la matière le requiert.

CHAPITRE LXIII.

Comment le connétable de France et plusieurs autres s’appareilloient pour aller en Angleterre conquérir villes et chastels.


Quand la douce saison fut venue et le beau et joli mois de mai, que on compta en ce temps en l’an de grâce Notre Seigneur mil trois cent quatre vingt et sept, endementres que le duc de Lancastre étoit en Galice et que il faisoit ses conquêtes, et que il et le roi de Portingal atout grand’puissance chevauchoient en Castille, et que nul ne leur alloit audevant, s’ordonnoient en France, si comme je vous ai ci-dessus dit, le connétable de France d’un lez, le comte de Saint-Pol, le sire de Coucy et messire Jean de Vienne d’autre lez ; l’un à Lautriguier en Bretagne et l’autre à Harfleur en Normandie, pour aller en celle saison en Angleterre, et de là mener jusques à six mille hommes d’armes, deux mille arbalêtriers et six mille gros varlets. Et étoit ordonné que nul ne devoit passer mer, ni entrer en ce voyage, si il n’étoit armé de toutes pièces, pourvu de vivres et de pourvéances pour quatre mois, et toute fleur de gens d’armes, et pourvus de foins et d’avoines pour leurs chevaux ; quoique sur l’été Angleterre est un pays bon pour ostoier chevaux. Et avoient ces seigneurs, qui capitaines étoient et souverains de faire ce voyage, un certain jour concordé ensemble quand ils se départiroient ; et devoient prendre terre en deux ports en Angleterre à Douvres et à Oruelle. Et approchoit grandement le jour que ils devoient être en leurs navies. Et si comme il avoit été fait et ordonné en la saison passée à l’Escluse, que les mesnies des seigneurs faisoient les pourvéances de charger de toutes choses qui leur appartenoit et qui leur pouvoit être nécessaire, naves et balenniers, ainsi faisoient-ils pareillement à Harfleur en Normandie et en Lautriguier en Bretagne. Et étoient jà payés les gens d’armes pour quinze jours, lesquels le sire de Coucy, le comte de Saint-Pol et l’amiral devoient mener outre. Mais ils étoient encore en leurs hôtels, fors les lointains de la