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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

dit : « Messire Thomas, monseigneur vous demande : venez parler à lui. » Lors se départit le maréchal et vint devers le duc. Quand il fut venu, le duc lui dit : « Maréchal, savez-vous point si ces Bretons qui tiennent celle ville contre nous se voudroient point mettre en notre obéissance ? Nous travaillons nos gens et faisons blesser, et gâtons notre artillerie ; et si ne savons quand nous en aurons mestier. Je vous prie, allez devers eux et leur faites dire que vous voulez traiter à eux. » Messire Thomas répondit et dit : « Monseigneur, volontiers ; puisque vous les voulez prendre à merci, c’est droit que ils le soient. »

Lors se départit le maréchal du duc et s’en vint jusques à l’assaut et dit à un héraut : « Va tout devant et fais tant que tu parles à eux ; nos gens te feront voie ; et leur dis que je vueil traiter à eux. » Le héraut répondit : « Sire, volontiers. » Lors se bouta-t-il ès fossés ; une cotte d’armes vêtit qui avoit été au duc de Lancastre, et dit : « Ouvrez-vous ; il me faut aller parler à ces Bretons, car le maréchal m’y envoie. » À ces paroles lui firent voie ceux qui là étoient.

Le bâtard d’Auroy le vit venir, et avoit bien vu d’amont des fossés le convenant du maréchal comment il avoit parlé à lui. Si s’en vint aux créneaux et se montra et demanda : « Héraut, que voulez-vous ? Je suis l’un des capitaines de celle ville, je crois que on vous envoie parler à moi. » — « C’est voir, dit le héraut, que on clamoit Percy. Monseigneur le maréchal vous mande que vous veniez parler à lui, car il veut avoir traité et parlement à vous. » — « Je le vueil répondit le bâtard, mais que il fasse vos gens retraire et cesser l’assaut, car autrement n’irai-je point. » — « Je crois bien, dit le héraut, que tout ce se fera, car c’est raison. » Adonc retourna le héraut au maréchal et lui dit ce que vous avez ouï. Le maréchal appela sa trompette et dit : « Sonnez pour retraire. » Il sonna ; lors se cessèrent les assauts de toutes parts. Adonc quand les assauts furent cessés, si s’en vinrent les capitaines de la porte et passèrent tout outre et vinrent aux barrières. Là étoient le connétable, messire Jean de Hollande, messire Thomas Morel et grand’foison d’Anglois. « Comment, dit le maréchal ; vous feriez-vous prendre à force et tout perdre ou occire et les povres gens de là dedans ! Nous savons bien que la communauté de le ville se rendroit volontiers à monseigneur et à madame, et se fussent pieçà rendus si vous ne fussiez. Sachez que il vous en pourra bien mal prendre ; car, quoique il en advienne, nous ne nous partirons de ci si serons au-dessus de la ville, soit bellement ou autrement : parlez ensemble et vous avisez et me répondez, car je sais bien de quoi je suis chargé. » — « Sire, dit le bâtard d’Auroy, je suis tout conseillé et aussi sommes-nous tous et bien avisés. Au cas que nous et le nôtre vous metterez en bon conduit et sûr pour aller à Ville-Arpent, ou à voie là où il nous plaira à traire vous nous ferez conduire sauvement et sans péril, nous vous rendrons la ville ; et aussi que tous les hommes, femmes et enfans qui sont dedans et qui demeurer y voudront, y demourent sans péril et dommage, parmi l’obéissance que ils feront au duc de Lancastre, si comme les autres villes de Galice ont fait, et non autrement. Nous savons bien que vous êtes maréchal de l’ost et que le traité appartient à vous, et ce que vous en ferez le duc l’accordera. » — « C’est vérité, dit messire Thomas. Or soit ainsi, que vous emportez ce que vous direz qui sera vôtre. Je ne vueil pas que vous pilliez la ville, et puis si nous fassiez entendant que vous l’avez conquis sus le pays, car vous vous mettriez en riotte et en péril contre nos gens. » — « Nennil, dit le bâtard d’Auroy, nous n’emporterons fors ce qui est nôtre ; et si les compagnons de notre délivrance ont aucune chose pris et acheté et ils l’ont mal payé, nous n’en voulons pas pour ce entrer en riotte, car je crois bien que de boire et de manger, depuis que nous vînmes ici en garnison, nos gens n’en ont rien payé. » — « Nennil, nennil, dit le maréchal, tout ce vous est excepté. Les vivres sont d’avantage ; aussi seront-ils nôtres ; mais mous parlons des meubles. » Dit le bâtard d’Auroy : « Maréchal, je ne nous ferai jà si prud’hommes que nous n’en ayons. » Donc dit messire Jean de Hollande : « Laissez-les passer, et ce qui est leur soit leur ; on ne leur voist jà si près que pour enquerre en leurs malles. » — « Or soit ainsi, » dit le maréchal.

Là fut mis ce jour tout entier en souffrance, et à lendemain ils se devoient partir. Et s’en retournèrent le duc et les Anglois à leurs logis, et se désarmèrent et aisèrent de ce que ils avoient, et les Bretons entendirent ce jour à trousser et à enmaller grand pillage que ils avoient pris et