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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

dit de l’éperon un petit trop avant ; le coursier l’emporta, voulsist ou non, parmi haies, parmi buissons ; en la fin il le mit jus au saillir d’un fossé, et rompit messire Thomas Trivet le cou ; et là mourut, dont ce fut dommage, et eut grand’plainte parmi tout le royaume d’Angleterre des bonnes gens. Cependant pour ce ne demeura pas que il ne convînt que ses hoirs ne payassent une somme de florins devers le conseil qui se nommoit du roi. Mais la souveraineté de telles choses mouvoit et venoit par les incitations des oncles du roi et le général conseil du pays, si comme il apparut depuis en Angleterre. Car voir est que le duc de Glocestre, quoique ce fût le plus jeune d’âge des fils du bon roi Édouard, si étoit-il le plus ancien ès besognes qui touchoient au pays et là où la plus saine partie des nobles, des prélats et des communautés se rapportoient et retrayoient.

Quand la composition de messire Thomas Trivet mort fut faite, la pénitence de messire Guillaume Helmen fut grandement allégée. Car on traita devers le conseil, et messire Guillaume eut bons amis et bons moyenneurs par grand’vaillance de son corps et les beaux services que il avoit faits plusieurs fois aux Anglois, tant en Bordelois comme en Guyenne que en Picardie où toujours il avoit été trouvé bon chevalier, que rien ne lui reprochoit-on, au justement considérer tous ses faits, que ce qu’il avoit pris argent des garnisons de Bourbourch et Gravelines rendre ; mais il s’excusoit par si belles raisons raisonnables et si doucement et disoit : « Mes seigneurs, quand on est en tel parti d’armes que nous étions pour ce temps en la garnison de Bourbourch, il me semble, selon ce que j’ai ouï recorder maintes fois à messire Jean Chandos et à messire Gaultier de Mauny, qui eurent sens et vaillance assez, que on doit des deux ou des trois voies prendre la plus profitable en endommageant ses ennemis. Messire Thomas Trivet et moi véyons bien que nous étions enclos de tous côtés, et un oiselet ne s’en fût point parti sans le danger des François ; et si ne nous apparoît confort de nul côté ; et aux assauts nous ne pouvions longuement durer, car ils étoient tous de bonnes et belles gens d’armes que oncques je n’en vis tant, ni aussi ne fit chevalier ni écuyer qui soit en Angleterre. Car si comme je le savois justement, parmi notre héraut qui fut en leur ost et qui imagina toute leur puissance, ils étoient largement seize mille hommes d’armes, chevaliers et écuyers, et bien environ quarante mille d’autres gens : et nous n’étions pas trois cens lances, et autant d’archers : et si étoit notre garnison de si grand circuit, que nous ne pouvions bonnement à tout entendre. Et bien le vîmes par un assaut qui nous fut livré ; car, entrues que nous entendions aux défenses à l’une part, on nous trait le feu d’une autre, par quoi nous fûmes tout ébahis, et bien s’en perçurent nos ennemis. Et au voir dire, le roi de France et son conseil ouvrèrent de très grand’gentillesse, quand sur ce parti où nous étions, ils nous donnèrent trêves, car s’ils eussent continué l’assaut, et au lendemain ensuivant ils fussent revenus par la façon et manière qu’ils avoient ordonné, ils nous eussent eus à volonté. Or traitèrent-ils doucement devers nous, par le moyen du duc de Bretagne, qui y rendit moult grand’peine. Nous dussions avoir donné argent, et on nous en donna ; nous endommageâmes moult nos ennemis, et il étoit en eux de nous endommager, car j’entends le dommage sur eux, que nous eûmes leur argent et que nous partîmes sains et saufs, et emportâmes tout le nôtre que nous avions conquis en celle saison par armes en la frontière de Flandre. Et outre, dit messire Guillaume Helmen, pour moi nettoyer et purger de tout blâme, si il étoit en Angleterre ni hors d’Angleterre nul chevalier ni écuyer, excepté les corps de messeigneurs, monseigneur de Lancastre, monseigneur d’Yorch et monseigneur de Glocestre qui voulsissent dire ni mettre avant que je me fusse desloyaulcé envers mon naturel seigneur le roi, ni qui accuser me voulsist de trahison, je suis trop prêt de lever le gage et de mettre mon corps en abandon et au parti d’armes, et de prouver le contraire, ainsi que les juges à ce députés et ordonnés l’ordonneroient. »

Ces paroles et autres et la vaillance du chevalier l’excusèrent et délivrèrent du grand péril de mort où il fut et avoit été de commencement, et le retournèrent en son état ; et fut depuis en Angleterre moult cru et avancé et du conseil du roi. Mais en ces jours ne fut pas délivré messire Simon Burlé de la tour de Londres, car il étoit grandement haï des oncles du roi et de toute la communauté d’Angleterre. Si y fit le roi toute sa puissance de le délivrer entretant que il sé-