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LIVRE III.

plus saine partie de son pays, et qui le plus l’aimoient et avoient son honneur à garder, et que trop avoit cru au conseil de ses marmousets : parquoi son royaume avoit été en grand branle. Endementiers qu’on étoit en ce parlement, fut amené à Londres messire Nicolas Brambre qui avoit été pris et rencontré en Galles, là où il étoit fui à sauveté. De sa prise et venue furent les oncles du roi tous joyeux et réjouis ; et dirent qu’on ne le garderoit point trop longuement, mais mourroit de la mort semblable que les autres étoient morts. Il ne s’en put oncques excuser, qu’il ne lui convînt mourir ; et fut décolé au dehors de Londres, à la justice du roi. Si fut plaint des aucuns en Londres ; car il avoit été maire de Londres au temps passé ; et avoit, son office durant, gouverné la ville bien et à point ; et sauva un jour l’honneur du roi, en la place de Semisefille quand il de sa main occit Listier ; parquoi tous les autres mutins avoient été déconfits ; et, pour ce beau service qu’il fit, le roi le fit chevalier. Or fut décolé, par l’incident que je vous ai dit, et par trop croire le duc d’Irlande.

Après la mort de messire Nicolas Brambre, virent les oncles du roi que tous ceux qu’ils hayoient et vouloient ôter hors du conseil du roi, étoient morts ou éloignés, tellement que plus n’y avoit de r’alliance, et convenoit que le roi et le royaume fût remis et réformé en bon état. Car quoi qu’ils eussent morts et enchâssés les dessus dits, si ne vouloient-ils pas ôter au roi sa seigneurie ; mais ils le vouloient rieuller sur bonne forme et état, à l’honneur de lui et de son royaume. Si dirent à l’archevêque de Cantorbie ainsi : « Archevêque, vous vous en irez, en votre état, devers Bristo. Là trouverez-vous le roi, et vous lui remontrerez les besognes et ordonnances de son royaume, et en quel point elles gisent et sont : et nous recommanderez à lui ; et lui direz bien, de par nous, qu’il ne croie nulle information contraire ; car trop les a crues, contre l’honneur et profit de lui et de son royaume. Et dites que nous lui prions, et aussi font les bonnes gens de Londres, qu’il vienne par deçà ; il y sera bien venu, et reçu à grand’joie ; et lui mettrons tel conseil de-lez lui, qui bien lui plaira. Toutes fois, archevêque, nous vous endittons et enchargeons que point vous ne venez sans lui ; car tous ceux qui l’aiment s’en contenteroient mal. Et lui dites bien que il ne se a que faire d’élever ni de courroucer pour aucuns traîtres qui trop ont été en sa compagnie si on les a occis et éloignés de lui ; car par eux étoit son royaume en très grand péril, et en grand aventure d’être perdu. » L’archevêque répondit qu’il feroit bien le message. Donc ordonna-t-il son arroi et se mit au chemin, ainsi comme un grand prélat ; et tant fit que il vint à Bristo, et se logea en la ville.

Pour ces jours le roi étoit moult privément. Car tous étoient ceux où il se souloit conseiller, morts et éloignés de lui, ainsi que vous avez ouï ci-dessus recorder au procès. Si fut l’archevêque un jour tout entier et deux nuits en la ville, avant que le roi voulsist parler à lui ; tant étoit il mélancolieux sur ses oncles qui éloigné lui avoient le duc d’Irlande, l’homme au monde qu’il aimoit le mieux, et qui lui avoient fait mourir ses chambellans et chevaliers. Finablement, tout considéré, il fut tant mené et si bien introduit, qu’il consentit que l’archevêque venist en sa présence. Quand il y fut venu, il s’humilia grandement devers le roi ; et lui remontra bien toutes les paroles dont ses deux oncles l’avoient chargé ; et lui donna bien à entendre, en lui remontrant que, s’il ne venoit à Londres et au palais à Westmoustier, au cas que ses oncles le vouloient et l’en prioient, et les Londriens aussi, et la plus saine partie de son royaume, il les courrouceroit ; et, sans le confort, aide et conseil de ses oncles et des barons et chevaliers, prélats, cités et bonnes villes d’Angleterre, il ne pouvoit rien faire, ni venir à nulles de ses ententes ; et lui remontra vivement, car de ce étoit-il chargé du dire, qu’il ne pouvoit de rien plus réjouir ses ennemis, que d’avoir guerre à ses amis et tenir son pays en trouble.

Le jeune roi d’Angleterre aux paroles et monitions de l’archevêque de Cantorbie s’inclinoit assez, mais le grand inconvénient qu’on lui avoit fait, si comme il disoit, de décoler ses hommes et son conseil, où il n’avoit vu que tout bien, lui revenoient devant son courage, et ce le muoit trop fort. Si eut, je vous dis, plusieurs imaginations ; et toutes fois la dernière fut qu’il se refréna un petit, avecques le bon moyen que la roine, madame Anne de Bohême, y mit et rendit, avec les sages chevaliers de sa chambre qui lui étoient demeurés, comme messire Ri-