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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/641

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LIVRE III.

messire Olivier du Glayaquin, très bonne compagnie : et leur donna un soir à souper : et à lendemain il bailla un chevalier des siens, de ceux de Tintiniac, Breton, qui les conduisit, pour aller devers le roi plus sûrement, et pour les rencontres des Bretons, car partout en y avoit beaucoup.

Tant exploitèrent, qu’ils vinrent à la cité de Medine-de-Camp : et là trouvèrent le roi qui grand désir avoit de savoir quelle chose ils vouloient. Quand ils furent descendus en un hôtel qui étoit ordonné pour eux, et ils se furent rafreschis et appareillés, ils allèrent devers le roi qui leur fit bonne chère par semblant ; et y furent menés par les chevaliers de son hôtel : et leur montrèrent lettres, de par le connétable, et non de par autre, car le duc de Lancastre s’en feignoit : ni point à celle fois ne vouloit escripre au roi de Castille, pour celle cause. Aux paroles que les dessus dits chevaliers dirent et proposèrent au roi, n’étoient point les chevaliers de France, quoiqu’ils fussent de son étroit conseil et du plus privé, car sans eux ni leur conseil il ne passoit rien des choses appartenans à la guerre. Ils parlèrent et dirent ainsi : « Sire roi, nous sommes ici envoyés de par le comte de Hostidonne, connétable à présent des gens que monseigneur de Lancastre a mis hors d’Angleterre. Avenu est pour le présent, par incidence merveilleuse, que mortalité et maladie se sont boutées entre nos gens. Si vous prie le connétable, que vous voulsissiez à ceux qui santé désirent à avoir, ouvrir et faire ouvrir vos cités et bonnes villes, pour eux laisser dedans venir aiseir et rafreschir, et recouvrer santé, si recouvrer y peuvent. Et aussi à aucuns qui ont plaisance de retourner en Angleterre par terre, si convient qu’ils passent par les dangers de vous, du roi de Navarre et du roi de France, il vous plaise tant faire, que paisiblement, pour bien payer partout leurs frais, ils puissent passer et retourner en leurs lieux. C’est la requête et la prière, à présent que nous vous faisons. » Lors répondit le roi de Castille moult doucement et dit : « Nous aurons conseil et avis quelle chose en est bonne à faire : et puis en serez répondu. » Ils répondirent : « Il nous suffit. »

CHAPITRE LXXXV.

Comment les trois ambassadeurs de par le duc de Lancastre impétrèrent un sauf conduit du roi de Castille, pour passer leurs malades en ses pays, et passer surement ceux qui s’en retourneroient hors d’Espagne ; et comment plusieurs chevaliers et écuyers d’Angleterre moururent en Castille et ès pays des Espaignes, étant le duc de Lancastre même tombé en grande maladie à Saint-Jacques en Galice.


Lors se départirent les chevaliers d’Angleterre et prirent congé au roi ; et retournèrent en leurs logis ; et s’y tinrent tout ce soir, et à lendemain jusques à tierce qu’ils retournèrent devers le roi. Or vous dirai avant la réponse du conseil que le roi de Castille eut. Premièrement, ces requêtes et nouvelles lui firent grand bien et très parfaite joie, car il se véoit à chef pour un grand temps de sa guerre, quand ses ennemis lui prioient à vider et partir de son pays : bien savoit en soi-même lequel il en feroit. Et fut tout conseillé du contraire, mais il vouloit tant honorer les deux chevaliers françois qu’on lui avoit là envoyés à capitaines, messire Gautier de Passac et messire Guillaume de Lignac, qu’il en parleroit à eux ; et les manda en sa chambre, et une partie de son espécial conseil de ceux de son pays. Quand ils furent là venus, le roi leur remontra moult sagement la parole des chevaliers d’Angleterre, et les prières et requêtes que le connétable du duc lui faisoit ; et sur ce il en demandoit à avoir conseil, et qu’on le conseillât loyaument. Et tourna la parole sur messire Gautier de Passac et sur messire Guillaume de Lignac. Envis parloient devant le conseil du roi : mais parler les convint, car le roi le vouloit et les en requit ; et lors, par le commandement du roi, ils dirent : « Sire, vous savez la fin que nous vous avons toujours dite ; c’est que vos ennemis se lasseront et dégâteront. Ils sont déconfits, et sans coup férir. Au cas doncques que par gentillesse les malades demandent à avoir confort et rafreschissement en votre pays, vous le leur accorderez, par manière telle, que, s’ils retournent à santé, ils ne retourneront point devers le duc de Lancastre ni devers le roi de Portingal, mais iront tout droit leur chemin, et, de ce terme en six ans, ils ne s’armeront contre vous ni contre le royaume de Castille. Nous espérons que vous finerez assez bien au roi de France et au roi de Navarre, d’avoir sauf conduit pour eux, à passer paisiblement parmi leurs royaumes. »