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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

De celle réponse fut le roi d’Espaigne tout réjoui, car on le conseilloit après sa plaisance ; ni il n’avoit cure quel marché qu’il fît, mais qu’il fût quitte des Anglois. Or dit à messire Gautier de Passac qui la parole avoit montrée : « Vous me conseillez loyaument. Si vous en sais bon gré, et je ferai après votre parole. » Adonc furent les trois chevaliers d’Angleterre mandés. Quand ils furent venus, on les fit passer outre en la chambre de parlement du roi ; et là étoit le roi et tout son conseil ; et là parla le chancelier d’Espaigne, l’évêque d’Esturges, qui bien étoit enlangagé, et dit : « Chevaliers d’Angleterre de par le duc de Lancastre, et cy envoyés de par son connétable, entendez. C’est la parole du roi, que pour pitié et gentillesse, il veut faire à ses ennemis toute la grâce comme il pourra. Et vous retournés devers votre connétable qui là vous a envoyés, vous lui direz, de par le roi de Castille, qu’il fasse à savoir, à la trompette, par tout son ost, que son royaume est ouvert et appareillé pour recevoir et recueillir haitiés et malades, chevaliers et écuyers, et leurs mesnies ; voire parmi tant qu’aux portes des cités et des bonnes villes, là où ils viendront ou voudront entrer ou demeurer, ils mettront jus toutes leurs armures ; et là trouveront hommes à ce ordonnés, qui les meneront aux hôtels ; et là seront tous leurs noms escripts, et rapportés par devers le capitaine, à celle fin que ceux qui en ces cités et bonnes villes entreront, ne pourront plus retourner en Galice ni en Portingal, pour quelconque besogne que ce soit ; mais partiront, du plus tôt qu’ils pourront, après ce que le roi de Castille, notre sire, leur aura impétré bon sauf conduit et sûr, pour passer paisiblement parmi les royaumes de Navarre et de France, et pour aller jusques en la ville de Calais, ou quelconque port ou hâvre qu’il leur plaira prendre ou choisir, sur les bandes soit de Bretagne, de Saintonge, de la Rochelle, de Normandie, ou de Picardie. Et c’est la parole du roi, que tous ceux qui se mettront en ce voyage, chevaliers et écuyers, de quelque nation qu’ils soient, ne s’armeront, le terme de six ans à venir, pour nulle cause, contre le royaume de Castille ; et ce jureront-ils solennellement, en prenant les saufs conduits qu’on leur baillera. Et de toutes ces paroles dites et devisées, vous en rapporterez lettres ouvertes, devers votre connétable et les compagnons qui cy vous envoient. »

Les chevaliers dessus nommés remercièrent le roi et son conseil, de la réponse qu’il leur avoit faite, et dirent : « Il y a aucuns points ou articles, en votre parole. Nous ne savons si elles seront acceptées. Si elles le sont, on renvoyera notre héraut, ou qui que ce soit, devers vous. » — « Bien nous suffit, » répondirent ceux du conseil du roi.

Adonc se retrait le roi de Castille en sa chambre ; mais messire Gautier de Passac et messire Guillaume de Lignac demourèrent avecques les chevaliers, et les menèrent en une belle chambre où on avoit couvert pour dîner, et là dînèrent tous ensemble. Après dîner, ils prirent vin et épices en la chambre du roi, et congé. Leurs lettres furent toutes appareillées. Or montèrent à cheval, sitôt qu’ils furent retournés à leur hôtel, et furent délivrés de tous points par les fourriers du roi ; et se départirent de Medine, et vinrent gésir à Villelope[1], et le lendemain ils passèrent à Ville-Arpent et y dînèrent ; et puis partirent, et vinrent gésir à Noye en Galice ; et lendemain ils vinrent à Aurench, et trouvèrent là le connétable.

Avenu étoit, entrue qu’ils avoient été en ce voyage, qu’un des grands barons, qui fut en la compagnie du duc de Lancastre, et moult vaillant homme, étoit mort. C’étoit le sire de Fit-Vatier, lequel avoit grand’plainte ; mais contre la mort nul ne peut estriver. Si lui furent faites ses obsèques moult honorablement, et y furent le roi de Portingal et le duc de Lancastre. Quand les trois chevaliers furent revenus en l’hôtel, devant le duc de Lancastre, si recordèrent tout ce qu’ils avoient trouvé ; et montrèrent les lettres qui affermoient toutes leurs paroles. Les aucuns dirent qu’elles étoient dures ; et les autres répondirent que non étoient, mais moult courtoises, à considérer parfaitement le parti, l’état et le danger où ils étoient. Ces nouvelles s’épandirent tantôt parmi l’ost, que le duc donnoit, de bonne volonté, congé à tous ceux qui partir vouloient. Ceux qui se sentoient entachés de maladie et affoiblis de corps, et qui désiroient à renouveler l’air, se départirent sitôt qu’ils purent, et prirent congé au duc et au

  1. Villalobos.