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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

s’étoit point trait avant. Je ne sais pas pourquoi ni à quoi il étoit demeuré. Je ne dis mie, ni ne veuil dire, que messire Boucicaut ne soit chevalier bon assez pour faire tel parti d’armes, ou plus grandes comme celles étoient. Quand messire Jean d’Aubrecicourt fut venu à Bayonne en la compagnie de messire Jean de Hollande, si comme vous avez ouï, il eut plusieurs imaginations sur ces besognes ; et lui sembloit qu’honorablement il ne pouvoit partir des frontières de par-de-là, au cas qu’il étoit requis et appelé de faire armes, et qu’il les avoit acceptées sans les achever ; et pourroient les François dire, s’il retournoit en Angleterre, qu’il s’en seroit allé mal duement. Si se conseilla à ses compagnons, et par espécial à messire Jean de Hollande, quelle chose en étoit bonne à faire. Conseillé fut qu’il prît le chemin de France ; il avoit bon sauf conduit pour passer parmi le royaume de France, que le duc de Bourbon, à la prière de messire François d’Aubrecicourt, son cousin germain, lequel avoit été et étoit avec le duc de Bourbon, lui avoit impetré et fait avoir du roi, et s’en vînt à Paris, et demandât là messire Boucicaut. Espoir en orroit-il nouvelles sur son chemin ou à Paris ; et parmi tant il seroit excusé. Ce conseil tint et crut le chevalier ; et se mit à chemin ; et entra au pays de Béarn, par le pays des Basques ; et vint à Ortais ; et là trouva le comte de Foix, qui lui fît bonne chère et le tint de-lez lui ; et au départir il lui donna deux cens florins et un moult bel roncin. Si se départit messire Jean d’Aubrecicourt du comte de Foix ; et chevaucha tout le pays de Béarn ; et entra en Bigorre, et puis en Toulousain, et puis en Carcassonnois.

En sa compagnie étoit Guillaume de Soumain, et autres écuyers de Hainaut, qui retournoient en leurs pays. Tant exploitèrent qu’ils vinrent à Paris. Pour ces jours le roi de France étoit en Normandie ; et messire Boucicaut, si comme il lui fut dit, étoit en Arragon. Messire Jean d’Aubrecicourt, pour lui acquitter, se présenta à aucuns hauts barons de France qui étoient à Paris ; et, quand il eut séjourné huit jours, et il se fut rafreschi, il se départit et se mit au chemin ; et fit tant par ses journées, qu’il vint à Calais ; et ceux de Hainaut retournèrent en Hainaut. Ainsi par plusieurs membres se dérompit celle armée d’Espaigne et de Portingal.

CHAPITRE LXXXVII.

Comment le duc de Bourbon, étant part d’Avignon avec son ost, s’en alla trouver le roi de Castille à Burges ; comment le duc de Lancastre en étant averti, se pourvut du roi de Portingal ; et comment le duc de Bourbon, après plusieurs conjouissemens, eut congé du roi de Castille et s’en reretourna droit en France.


On doit supposer que le duc Louis de Bourbon duquel je vous ai ci-dessus parlé et traité, et lequel étoit, au commencement, de celle emprise et armée de Castille institué et nommé à être chef, étoit tout informé des besognes dessus dites, comment elles se portoient et devisoient ; car, s’il eût senti ni connu qu’elles se dussent approcher, il se fût assez plus hâté qu’il ne fît, car il mit moult longuement à venir ainçois qu’il entrât en Espaigne. Et prit le lointain chemin, car il vint par Avignon, pour voir celui qui s’escripsoit pape Clément : et fut de-lez lui un temps : et, quand il s’en départit, il s’en vint droit à Montpellier ; et là séjourna-t-il cinq jours, et aussi à Béziers et à Carcassone ; et vint à Narbonne, et puis à Parpegnan ; et là entra en le royaume d’Arragon, car il vouloit voir le jeune roi d’Arragon, et sa cousine la roine, madame Yolande de Bar.

Tant exploita par ses journées le duc de Bourbon qu’il vint à Barcelonne ; et là trouva le roi et la roine, et grand’foison de comtes et barons du pays, qui tous étoient ensemble pour le recueillir et festoyer, si comme ils firent. Quand il eut là été une espace, environ six jours, il passa outre parmi le royaume d’Arragon : et vint à Valence la grande ; et là lui vinrent nouvelles que toute l’armée des Anglois et Portingalois étoit retraite et passée, et que messire Jean de Hollande étoit en Navarre lequel en ramenoit la greigneur partie de leurs gens ; et qu’entre les Anglois avoit eu trop grand’déconfiture de mortuaire, et que son cousin le duc de Lancastre étoit moult deshaitié en la ville de Compostelle ; et jà couroit en plusieurs lieux renommée qu’il étoit mort. Nonobstant toutes ces nouvelles, quoi qu’il n’eût eu que faire en Espaigne, si il voulsit, il passa outre et signifia sa venue au roi de Castille qui en fut grandement réjoui, et dit que, pour lui recueillir, il viendroit à Burges en Espaigne, une moult noble et puissante cité, si comme il fit. Lui venu à Burges, il fit appareiller très grandement, pour le duc recevoir ; et là étoient de-lez lui les aucuns chevaliers de