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LIVRE III.

France qui désiroient à voir le duc de Bourbon. Si passa le duc Valence et Sarragosse, et tous les ports, et entra en Espaigne ; et vint à Burges. Si fut du roi et des prélats, barons et seigneurs du pays, grandement bien recueilli et conjoui. Là étoient : messire Olivier du Glayaquin, connétable de Castille, et messire Guillaume de Lignac, messire Gautier de Passac, messire Jean des Barres, messire Jean et messire Regnault de Roye, et plusieurs chevaliers de France qui tous avoient laissé leurs garnisons pour venir voir le duc de Bourbon ; car des Anglois ni des Portingalois, ils n’avoient que faire de douter, car tout étoit retrait : et laissoient jà en Galice les seigneurs Anglois les villes, cités et forteresses, qu’ils avoient conquises, car bien savoient que contre la puissance des François ils ne les pourroient tenir, au cas que leurs gens étoient du tout départis, et issus hors de Galice, et retraits, les uns çà et autres là, ainsi comme vous avez ouï recorder un petit avant, ci-dessus, en celle présente histoire.

Nouvelles vinrent en Galice que le duc de Bourbon étoit venu en Espaigne, et avoit amené grand’chevalerie de France ; et faisoit-on, en parlant, la chose plus grosse la moitié qu’elle n’étoit. Si se commença le pays grandement à douter que le duc de Bourbon ne voulsist entrer à force dedans, et tout reconquerre. Mais, pourtant que ils sentoient le duc de Lancastre encore de-lez eux, ce les reconfortoit. Ces nouvelles vinrent au duc de Lancastre, que son cousin le duc de Bourbon étoit venu en Espaigne, et se tenoit à Burges de-lez le roi. Si le signifia tantôt au roi de Portingal, en lui priant qu’il mît ses gens ensemble, car il ne savoit que les François pensoient qui venoient à présent, et le pays nu et dépourvu véoient d’Anglois. Le roi de Portingal obéit, pour les grandes alliances qu’ils avoient ensemble ; et se départit de Lussebonne ; et s’en vint à Conimbres : et là se tint et fit son mandement parmi son royaume, que chacun fût pourvu et appareillé, ainsi comme à lui appartenoit ; et s’en vint jusques à la cité du Port, pour approcher Galice, et son beau-père le duc de Lancastre qui n’étoit point encore au point de chevaucher, pour la grand’maladie qu’il avoit eue : mais il commençoit à guérir.

Or vous parlerai du duc de Bourbon, qui se tenoit de-lez le roi de Castille qui l’honoroit ce qu’il pouvoit, et aussi faisoient les prélats et les hauts barons de Castille. Vous devez savoir que, le duc de Bourbon venu, il y eut plusieurs consaux entre eux, pour savoir quelle chose ils feroient, ni s’ils chevaucheroient en Galice, ou s’ils se mettroient au retour. Le roi d’Espaigne et son plus espécial conseil d’hommes de son pays, véoient assez clair en ces besognes, tant que pour leur profit, car ils disoient ainsi, quand ils étoient ensemble hors et en sus des François : « Notre terre est toute gâtée, mangée et souillée par les François, quoi qu’elle en ait été gardée. Si y avons-nous trop pris de dommage. Pour quoi, bon seroit qu’on remerciât le duc de Bourbon qui est présentement venu, de la peine et grand travail qu’il a eu ; et après qu’on lui dît par amour, qu’il voulsist faire retraire ses gens, car ils n’auroient plus que faire de demourer sur le pays, pour chose de guerre qui apparant leur fût, et que Galice, au conquérir, quand ils voudroient, leur étoit petite chose. Encore disoient ainsi ceux du conseil du roi : « Si nous recevons ces gens ci, ils voudront être payés de leurs gages ; et, s’ils ne le sont, ils pilleront et roberont tout notre royaume, et l’efforceront ; et jà se plaignent moult de gens en plusieurs lieux sur le pays. Si est bon pour toute paix qu’on leur donne un congé honorable. » Ce conseil fut tenu, et s’y assentit de tous points le roi, car il véoit bien que c’étoit le profit de ses gens et de son royaume ; et il n’y pouvoit avoir perte ni dommage, que ce ne fût à son préjudice. Ainsi donc, en la présence de lui, un jour l’archevêque de Burges montra la parole au duc de Bourbon ; et là étoit grand’foison de la chevalerie de France. Le duc de Bourbon et plusieurs chevaliers qui plus cher, sans comparaison, avoient à retourner que là demourer, car le pays n’est pas complexionné à celui de France, s’en contentèrent grandement ; et s’ordonnèrent sur cel état. Et pour ce que le duc de Bourbon fut dernièrement venu, il se départit quand il eut pris congé du roi tout premièrement ; et dit qu’il vouloit retourner parmi le royaume de Navarre. Si ordonnèrent ses gens leurs besognes sur cel état. On lui fit beaux dons et beaux présens avant son département ; et encore en eut-il plus eu, s’il voulsist ; mais il en refusa assez, si ce ne furent mulets, chevaux et chiens, nommés Alans d’Espaigne.