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LIVRE III.

sont liés et obligés ; et le leur fait-on jurer solennellement au jour de leur couronnement et création, pour entretenir fermement les deux royaumes en paix et unité. Or fut avisé et conseillé, au cas que le roi de France vouloit aller en ce voyage, c’est à entendre en Guerles, et Guerles est tenue du roi d’Allemagne, que on enverroit sommer le roi d’Allemagne suffisamment, en lui remonstrant, de par le roi de France et son conseil, que le duc de Guerles impétueusement et fellement avoit défié le roi de France, de défiances dures et felles, et hors de style et usage que seigneurs qui se veulent guerroyer doivent tenir à défier l’un l’autre. Et pour ce duc de Guerles faire desdire et amener à raison, le roi de France, à main armée et à puissance, vouloit venir en Allemagne ; non à l’encontre du roi d’Allemagne ni de sa seigneurie, mais contre son ennemi ; et querre là où il le pourroit trouver.

Pour faire ce message en furent chargés messire Guy de Harecourt, un moult sage et pourvu chevalier, et avecques lui un des maîtres de parlement qui s’appeloit pour lors maître Yves Derrient. Ces deux dessus hommes furent nommés au conseil du roi de France et chargés d’aller au voyage devers le roi d’Allemagne, et eux bien endittés et informés quelle chose ils devoient faire et dire. Si ordonnèrent leurs besognes ; et, sitôt comme ils eurent leur charge, ils se départirent du roi et de ses oncles et prirent le chemin de Châlons en Champagne, et chevauchèrent en bon arroi, ainsi comme hommes notables et commissaires de par le roi de France ; et trouvèrent le seigneur de Coucy qui là se tenoit, et retenoit chevaliers et écuyers de Bar, de Lorraine et de Champagne pour aller à ce voyage, car il devoit faire l’avant-garde. Si fit à messire Guy et à maître Yves Derrient très bonne chère, et leur donna moult notablement un jour à dîner, en l’hôtel là où il se tenoit ; et puis à lendemain ils passèrent outre, et chevauchèrent devers Sainte-Menehout, et devers le pays de Luxembourg, pour là ouïr certaines nouvelles du roi d’Allemagne.

CHAPITRE CXVII.

Comment le roi de France et son conseil donnèrent congé au duc de Bretagne de retourner en son pays ; et comment le pays de Brabant s’envoya excuser de ne pouvoir bailler passage au roi et à son ost : comment les ambaxadeurs de France exploitèrent envers le roi d’Allemagne.


Pour ce, si les ambaxadeurs du roi de France tiroient pour aller parler au roi d’Allemagne, ne séjournoïent pas les François à aller faire leurs pourvéances très grandes et très grosses ; et fut signifié qu’à la moyenne d’août chacun fût sur les champs, et au chemin de Champagne et de là environ ; car le roi se mettroit en voyage, ni on n’attendroit pas la réponse que messire Guy de Harecourt et maître Yves Derrient rapporteroient ni auroient du roi d’Allemagne. Or sembla-t-il bon au roi de France, à ses oncles et à leurs consaulx, que le duc de Bretagne, qui long-temps avoit séjourné à Paris, fût expédié. Si fut mandé à Montreau-faut-Yonne ; et là recueilli moult liement du roi, et de ses oncles par espécial, et du duc de Bourgogne et du duc de Touraine ; car pour ces jours le duc de Berry n’y étoit pas, mais étoit en son pays de Berry et ordonnoit ses besognes, et assembloit ses gens, et avoit fait faire son mandement en Poitou, et là manda chevaliers et écuyers, et gens d’armes, qu’ils se traïssent avant. Le roi, si comme dessus est dit, et le duc de Bourgogne traitèrent moult aimablement, et parlèrent au duc de Bretagne, et lui montrèrent toute amour. Vous savez comment il avoit remis arrière, et rendu au connétable ou à ses commis, les chastels et la ville de Jugon ; mais des cent mille francs qu’il avoit eus et reçus, fort lui étoit du rendre, car ils étoient tous alloués en pourvéances et en garnisons de chastels, de villes, et de gens d’armes étrangers qu’il avoit retenus et loués tout l’hiver ; car il cuidoit bien avoir la guerre, mais on le refréna et r’adoucit de douces paroles. Et fut si sagement mené et traité, qu’il eut en convenant au roi et au duc de Bourgogne, de remettre arrière cent mille francs à payer en cinq ans, à vingt mille francs l’an, jusques à fin de payement ; et tant que de l’assignation le roi et les consaulx de France s’en contentèrent ; et puis se départit le duc de Bretagne d’eux, et prit congé moult aimablement, et lui donna le roi, à son département, de beaux joyaux. Si s’en retourna à Paris ; et là