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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

lui donna le duc de Bourgogne, en son hôtel qu’on dit d’Artois, à dîner moult hautement, et à ses chevaliers aussi ; et là prit congé de lui et eux semblablement. Depuis ne séjourna guères le duc de Bretagne à Paris ; mais fit ordonner ses besognes, et par ses gens payer, par tout, ce qu’on avoit accru ; et puis issit et prit le chemin d’Estampes ; et chercha parmi la Beausse et s’en vint à Boisgency sur Loire ; et plusieurs de ses gens tirèrent et chevauchèrent toujours devant eux ; et passèrent parmi le pays de Blois, de Touraine, de Maine et d’Anjou ; et rentrèrent en Bretagne. Mais le duc avoit sa navie tout appareillée à Boisgency. Il se mit en une belle nef, le seigneur de Monfort et le seigneur de Malestroit en sa compagnie ; et se fit nager tout contre val la rivière de Loire, et passa par dessous le pont de Blois, et ainsi aval la rivière. Il fit tant qu’il se trouva en la cité de Nantes ; et là fut-il en son pays. Nous nous souffrirons à parler du duc de Bretagne, car il me semble qu’il a bien tenu son convenant au roi et à ses oncles, et n’a fait chose qui à ramentevoir fasse, ni n’avoit fait au jour que je cloïs ce livre. Je ne sais s’il en fera nulle. S’il en fait, j’en parlerai, selon ce que j’en serai informé. Or retournerons au roi de France, qui s’ordonnoit moult fort pour aller en la duché de Guerles.

Quand le sire de Coucy fut revenu à Montereau sur Yonne devers le roi et ses oncles, il leur recorda comment il avoit exploité, et que tous chevaliers et écuyers, en Bar, en Lorraine, en Bourgogne, et partout outre jusques à la rivière du Rhin et de Some, étoient réveillés et appareillés d’aller en ce voyage avec lui. Le roi en eut grand’joie, et dit que, s’il plaisoit à Dieu, il verroit en cel an ses cousins les ducs de Juliers et de Guerles. Or fut du commencement parlementé et regardé par où on pourroit passer, pour le meilleur et le plus aisé et le plus bref. Les aucuns disoient que le droit chemin étoit de descendre en la Thierasche, et de passer sur la frontière de Hainaut et de Liége, et passer parmi Brabant et entrer par là en Guerles, ou passer la rivière de Meuse à Tret-sus-Meuse, et, la Meuse passée, on entreroit tantôt en la terre de Juliers, et de là en Guerles.

Sur cel état le roi et son conseil en escripvirent à la duchesse de Brabant et au pays, en remontrant quel chemin le roi de France et ses gens vouloient faire. Il plaisoit moult bien à la duchesse ; mais le pays n’en étoit mie bien d’accord ; et dirent que le roi ni les François n’auroient voyage ni passage, parce que trop y prendroient grand dommage. Les bonnes villes de Brabant et les chevaliers furent tous de celle opinion ; et dirent bien à la duchesse leur dame, que, si elle mettoit les François en son pays, jamais pour la guerre de Guerles ne s’armeroient ; mais se clorroient tout et iroient au devant, défendre et garder leurs chemins et leurs terres, car ils seroient plus perdus assez et détruits par ces passans, que si leurs ennemis fussent en my leur pays.

Quand la duchesse de Brabant entendit et vit la volonté de ses gens, et tant des chevaliers comme des bonnes villes, si lui convint dissimuler, et prit messire Jean Opem, chevalier, et maître Jean de Gavres, et Nicolas de la Monnoye, et les enchargea d’aller en France, pour parler au roi et au duc de Bourgogne, et excuser le pays de Brabant de non avoir voyage ni passage par là, car le pays s’en tiendroit à trop blessé et grevé, et que pour Dieu ils ne se contentassent mie mal d’elle, car elle en avoit fait son plein pouvoir. Les dessus nommés au commandement de leur dame se départirent de Bruxelles, et se mirent au chemin devers Paris ; et tant exploitèrent par leurs journées, qu’ils vinrent à Montereau-faut-Yonne où le roi et les seigneurs se tenoient, et ne parloient ni subtiloient, nuit ni jour, fors du voyage de Guerles. Les commissaires de la duchesse de Brabant se trairent premièrement devers le duc de Bourgogne et lui montrèrent leurs lettres ; et puis parlèrent et contèrent leur message si bien et si à point, que le duc de Bourgogne y entendit, à la prière de sa belle ante, et moyenna vers le roi et son conseil. Avecques ce, le sire de Coucy y rendit grand’peine, tant que le premier propos, à passer parmi Brabant pour entrer en Guerles, fut rompu, et la duchesse et le pays excusé ; et fut regardé et avisé, qu’on iroit tout au long du royaume ; et que mieux valoit et étoit assez plus honorable et plus profitable pour le roi et ses gens, et aussi pour les Bourguignons, les Savoisins, et ceux de outre la Some.

Conseil fut donné et arrêté, et ceux nommés qui feroient l’avant-garde et l’arrière-garde ; et furent ordonnés vingt et cinq cens tailleurs de