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LIVRE III.

faisoient que chevaucher de l’un à l’autre. Mais tant y avoit que le duc de Lancastre leur donnoit plus grand’espérance de venir à leur entente, au cas qu’il auroit sa demande, c’étoit à avoir dedans trois ans six cens mille francs, et quarante mille francs de revenue par an tout son vivant et le vivant de la duchesse sa femme et douze mille francs que la duchesse auroit de revenue par an, pour sa chambre, qu’il ne fit à messire Hélion de Lignac.

Quand les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, et gens d’armes, sçurent que le roi de France étoit à Châlons, et s’en alloit son chemin vers la duché de Guerles, si se départirent de leurs hôtels toutes manières de gens qui derrière étoient : et se trairent celle part, pour venir devers le roi et l’aconsuivir. Là vinrent le duc de Berry, qui se logea à Épernay, et le duc de Bourbon d’autre part, et le comte de la Marche, le comte Dauphin d’Auvergne, le comte de Sancerre, le comte de Saint-Pol et le comte de Tonnerre. D’autre part, de-lez le roi se tenoient le duc de Bourgogne, le duc de Lorraine, le duc de Touraine, le connétable de France, messire Jean de Vienne, messire Guy de la Trémoille, le Barrois des Barres, et messire Jean de Bueil ; et appleuvoient gens de tous lez ; et pourprenoient tout le pays d’environ Reims et Châlons, bien plus de douze lieues de terre ; et étoit tout le pays mangé et délivré, où ces gens d’armes conversoient, jusques à Sainte-Menehout, jusques à Moustier en Bar, jusques à Chaumont en Bassigni, jusques à Vitry en Pertois, et en tout l’évêché de Troyes et de Langres. Encore n’étoit point le sire de Coucy venu, du voyage d’Avignon où il étoit allé : mais il se mettoit au retour.

Or retournèrent de leur ambassaderie messire Guillaume de Harecourt et maître Yves Derrient : et trouvèrent le roi de France et ses oncles à Chaslons en Champagne. De leur venue furent le roi et les seigneurs tous réjouis ; et demandèrent des nouvelles. Ils recordèrent au roi et à son conseil tout ce qu’ils avoient vu et trouvé, et dirent bien que le roi d’Allemagne leur avoit fait bonne chère, et liement les avoit recueillis et

    Ayala donne en détail toutes les conditions de ce traité. En voici les clauses principales.

    D. Henri, fils aîné du roi D. Jean de Castille, et âgé de neuf ans, devait épouser, dans les deux mois qui suivraient la signature du traité, Catherine, fille du duc de Lancastre, âgée de quatorze ans. Si l’infant Henri venait à mourir avant l’âge de 14 ans, et sans que le mariage fût consommé, Catherine devait épouser son second frère D. Ferrand. D. Henri, au moment du mariage, recevait le titre de prince des Asturies, et Catherine, celui de princesse des Asturies.

    Le roi de Castille devait assigner à D. Henri et à Catherine, pour tenir leur maison, la cité de Soria et les villes d’Amazan, Atienza, Soria et Molina, les mêmes que le roi Henri de Castille avait données à Bertrand du Guesclin et qu’il lui avait rachetées ensuite.

    Dans les deux mois qui suivaient le traité, le roi D. Jean s’obligeait à faire reconnaître D. Henri et Catherine comme ses successeurs.

    Le roi D. Jean devait payer en outre au duc et à la duchesse de Lancastre 600,000 francs de France, pour prix de leur renonciation à toute réclamation sur la couronne de Castille.

    Le roi D. Jean et ses héritiers s’engagaient de plus â payer au duc et à la duchesse, jusqu’à la mort du survivant, la somme de 40,000 francs par an.

    Des otages, pris dans les royaumes de Castille et de Léon, devaient être donnés au duc de Lancastre comme gages du paiement des 600,000 francs. Ces otages furent : D. Fadrique, duc de Bénévent, frère du roi D. Jean de Castille, Pero Ponce de Léon, sire de Marchena, Jean de Velasco, fils de Pero Fernandcz de Velasco, Carlos de Arellano, Jean de Padilla, Rodrigo de Rojas, Lope Ortiz de Estuniga, Jean Rodriguez de Cisneros, Rodrigo de Castaneda, et plusieurs autres citoyens des bonnes villes, en tout soixante-dix personnes. (On trouve dans Rymer leur acte de sauf-conduit donné par Richard II, le 26 août 1388.)

    Un pardon entier était accordé à tous ceux qui avaient pris le parti du duc de Lancastre.

    Le duc et la duchesse de Lancastre renonçaient de leur côté à toute prétention sur les royaumes de Castille, de Léon, Tolède, Galice, Séville, Cordoue, Murcie, Jaen, Algarves, Algéziras, sur les seigneuries de Lara et de Biscaye et sur celle de Molina, et reconnaissaient pour roi D. Jean, et après lui D. Henri, et puis son fils D. Ferrand, si le premier mourait sans enfans, puis tous autres descendants légitimes issus du roi D. Jean, et ne venant au trône qu’à défaut de tout autre héritier légitime. Ils s’engageaient de plus à ne se faire jamais relever de leur serment, ni en public, ni en secret par le pape.

    La duchesse de Lancastre, Constance, avait de plus, durant sa vie, les villes de Guadalajara, de Medina del Campo et d’Olmedo, sauf à les relever du roi D. Jean, et à s’obliger à n’en confier le gouvernement qu’à des Castillans.

    Malgré ses alliances nouvelles avec l’Angleterre, le roi D. Jean stipulait la conservation de ses anciennes alliances avec la France.

    Le roi D. Jean, pour pouvoir payer les sommes convenues avec le duc de Lancastre et consenties par les cortès, fit une sorte d’emprunt dans le royaume, ainsi que son père l’avait fait pour le rachat des terres données à Bertrand du Guesclin. Tous les citoyens, à l’exception des prélats, clercs, hommes nobles et femmes nobles, contribuèrent à un impôt qui leur fut rendu par retenues successives sur les impôts ordinaires.