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LIVRE III.

et étoit tout ébahi, car il véoit bien que, si les François vouloient, toute sa terre seroit arse et perdue. Si manda son frère, l’archevêque de Cologne, et son cousin, l’évêque de Liége, messire Arnoult de Hornes, pour avoir conseil d’eux et pour savoir comment il pourroit remédier, afin que sa terre ne fût exillée ni gâtée. Ces deux prélats le conseillèrent à leur pouvoir, et bien y avoit cause ; et lui dirent qu’il lui convenoit soi humilier envers le roi de France et ses oncles, et venir à obéissance. Le duc leur répondit que tout ce le feroit-il très volontiers.

Adonc, par le conseil de l’évêque d’Utret qui là étoit, et aussi de l’archevêque de Cologne, se partit, l’évêque de Liège en son arroy, pour venir à l’encontre du roi et traiter de ces besognes. Le roi de France approchoit toujours ; mais c’étoit deux, trois ou quatre lieues le jour, et bien souvent point, car l’arroy qu’il menoit étoit trop grand.

Entre Morsay et Notre-dame d’Aunot, là où le duc de Berry et toute sa route, où plus avoit de cinq cens lances, étoient logés, vinrent un jour messire Guillaume de Lignac et messire Hélion son frère. Messire Guillaume venoit du siége de Ventadour, car le duc l’avoit mandé, et le duc de Bourbon messire Jean Bonne-Lance ; et avoient au siége laissé tous leurs gens, et, pour capitaines, messire Jean Bouteillier et messire Louis d’Aubière, et vouloient être en la chevauchée et voyage du roi. Et messire Hélion de Lignac venoit de Gascogne et de Bayonne, de parler au duc de Lancastre, pour le mariage de sa fille, si comme vous savez. Le duc de Berry lui fit bonne chère et lui demanda des nouvelles. Messire Hélion lui en dit assez, et lui fit réponse de tous les traités qui avoient été entre le duc de Lancastre et lui ; et lui dit bien que le roi de Castille procuroit d’autre part pour venir à paix au duc de Lancastre, et traitoit fort pour son fils le prince de Galice, à venir à ce mariage.

De celle parole fut le duc de Berry tout pensif, et dit : « Messire Hélion, nous retournés en France, nous vous y renvoyerons plus acertes que vous n’y avez été, et l’évêque de Poitiers aussi, mais nous avons charge pour le présent assez, si nous y faut entendre, puisque nous y sommes embattus. »

En celle semaine retourna le sire de Coucy qui étoit allé en Avignon, et vint devers le roi, et le trouva à l’entrée d’Ardennes. De sa venue furent le roi et ses oncles et ceux de l’avant-garde tous réjouis.

Nous nous souffrirons à parler du roi et de son ost qui mettoient grand’peine à venir en Guerles, et nous rafreschirons d’autres choses, et grosses et belles besognes qui advinrent en ces jours entre Escosse et Angleterre que le roi de France tiroit pour aller en Allemagne, les quelles besognes ne sont pas à oublier.

CHAPITRE CXIX.

Comment les principaux barons d’Escosse s’assemblèrent en armes, pour faire guerre aux Anglois ; et comment ils prirent un espion par lequel ils sçurent que les Anglois savoient leur entreprise.


Vous savez comment le royaume d’Angleterre avoit été en trouble et en émoi les jours passés, le roi Richard contre ses oncles, et ses oncles contre lui. Souverainement de toutes ces incidences étoit demandé le duc d’Irlande, si comme il est dessus contenu en notre histoire, dont plusieurs chevaliers en Angleterre avoient été morts et décolés, et l’archevêque d’Yorch, frère au seigneur de Neufville, sur le point de perdre son bénéfice ; et par le nouvel conseil des oncles du roi et de l’archevêque de Cantorbie, le sire de Neufville, qui avoit bien tenu cinq ans la frontière de Northonbrelande contre ces Escots, avoit été cassé de ses gages, car il prenoit tous les ans seize mille francs sus la sénéchaussée d’Yorch et l’évêché de Durem, pour garder la dite frontière de Northonbrelande à l’encontre des Escots. Et y étoit venu et établi le comte de Northonberlande, messire Henry de Percy ; et faisoit celle frontière, par an, pour onze mille francs ; dont ces seigneurs et leur lignage, quoiqu’ils fussent voisins et parens l’un à l’autre, avoient grand’envie, haine et indignation l’un sur l’autre ; et tout ce savoient bien les Escots. Si s’avisèrent les barons d’Escots et les chevaliers, une fois, qu’ils mettroient sus une armée ; et feroient une chevauchée en Angleterre, car il étoit temps et heure ; et sentoient assez que les Anglois n’étoient pas bien tous d’une unité, mais en différend, et au temps passé ils avoient reçu par eux tant de grosses buffes qu’il étoit bien heure qu’ils en rendissent une belle, et tout acertes. Et, afin que leur affaire ne fût point sçue, ils ordonnèrent une fête sur la frontière