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LIVRE III.

Nouvelles étoient venues en Northonbrelande, car on ne fait rien qui ne soit sçu qui bonne diligence y met, au comte et à ses enfans, et au sénéchal d’Yorch, et à messire Mathieu Rademen, capitaine de Bervich, de l’assemblée et fête qui avoit été faite en la cité de Abredane. Donc, pour en savoir le fond et en quelle instance elle avoit été faite, ces seigneurs y avoient envoyé, tout couvertement, hérauts et ménestrels. Les Escots ne sçurent si secrètement parler ensemble ni faire leur besogne, que ceux qui envoyés furent d’Angleterre en Escosse, ne sçussent bien, et l’apparent en vissent que le pays s’émouvoit et mettoit ensemble ; et devoient avoir les seigneurs d’Escosse une journée de parlement ensemble, en la forêt et au chastel de Gedeours. Tout ce rapportèrent-ils à Neuf-Chastel-sur-Thine[1], à leurs maîtres.

Quand les barons et les chevaliers de Northonbrelande furent informés de celle affaire, si se pourvéyrent, et firent tant qu’ils furent sur leur garde ; et afin que les Escots ne sçussent rien de leur convenant ni de leurs secrets, par quoi ils ne rompissent leur emprise, tous se tinrent en leurs chastels et maisons ; mais ils étoient tout avisés de partir sitôt qu’ils sauroient que les Escots chevaucheroient. Et avoient ainsi avisé : « Si les Escots chevauchent, nous saurons bien là où ils se trairont. S’ils vont vers Cardueil ni Carlion[2] en Galles, nous entrerons d’autre part en leur pays, et leur porterons plus de dommage assez qu’ils ne nous puissent faire, car leur pays est tout déclos ; on y entre à tous lez ; et notre terre est forte ; et sont les villes et les chastels bien fermés. »

Sur cel état encore, pour savoir comment ils se deviseroient, ils avoient de rechef envoyé un Anglois gentilhomme, qui bien connoissoit toutes les marches d’Escosse, vers la forêt de Gedeours où celle assemblée devoit être ; et tant exploita l’écuyer anglois, sans être aperçu ni avisé, qu’il vint en celle église de Zédon[3], où ces seigneurs étoient ; et se bouta entre eux, ainsi comme un servant fait après son maître ; et sçut une grand’partie de l’entente et emprise des Escots. Sur la fin du parlement, il se devoit partir. Si vint à un arbre où il avoit attaché son cheval par les rênes, et le cuida trouver : mais point ne le trouva, car Escots aucuns sont grands larrons, et un deux l’avoit mené en voie. Il n’osa sonner mot, mais se mit à chemin tout de pied, houssé et éperonné. Ainsi qu’il avoit éloigné ce moustier le trait de deux arcs espoir, il y avoit là aucuns chevaliers d’Escosse qui là se devisoient ensemble. Dit l’un qui premièrement s’y adonna : « Je vois et ai vu merveilles. Véez-là un homme tout seul qui a perdu son cheval, si comme je l’espoire, et n’en a sonné mot. Par ma foi, dit-il, je fais doute qu’il ne soit point des nôtres. Or tôt après, à savoir si je dis vrai ou non. » Tantôt écuyers chevauchèrent après lui, et l’acconsuivirent tantôt. Quand ils les sentit sur lui, si fut tout ébahi ; et voulsist bien être ailleurs. Ils l’environnèrent de tous côtés, et lui demandèrent où il alloit ainsi et dont il venoit, et quelle chose il avoit fait de son cheval. Il commença à varier, et ne répondit point bien à leur propos. Ils le retournèrent, et lui dirent qu’il convenoit qu’il vînt parler à leur seigneur ; et ainsi fut-il ramené jusques au moustier de Zédon, et présenté au comte de Douglas et aux autres qui tantôt l’examinèrent, car ils virent bien qu’il étoit Anglois. Adonc ils vouldrent savoir qui là l’envoyoit. Trop envis le disoit : toutes fois il fut mené si avant qu’il connut toute la vérité, car on lui dit que, s’il ne la disoit, sans mercy on lui trancheroit la tête ; et que, s’il disoit vérité, il n’auroit garde de la mort. Là connut-il, pour sa salvation, que les barons de Northonbrelande l’avoient là envoyé, pour savoir l’état de leur chevauchée, et quelle part ils se vouloient traire. De celle parole furent les barons grandement réjouis ; et ne voulsissent pas, pour mille marcs, qu’ils ne l’eussent retenu et parlé à lui.

Adonc fut-il demandé quelle part les barons de Northonbrelande étoient ; et si entre eux étoient nulles apparences de chevaucher ; et lequel chemin en Escosse ils vouloient tenir, ou

    M. Johnes sur ce mot. « Le monastère de Zédon, dit-il, où Froissart fait rassembler les chefs écossais avant d’entrer en Angleterre, est, je pense, le lieu connu aujourd’hui sous le nom de Kirk-Yetholm qui est placé tout-à-fait sur la frontière et près des pieds du mont Cheviot. Ce nom se prononce Yettom, ce qui se rapproche beaucoup de Zédon. » Le manuscrit 8325, au lieu de Zoden, dit Zedon.

  1. New-Castle-upon-Tyne.
  2. Carlisle en Galloway.
  3. Kirk-Yetholm.