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LIVRE III.

les uns le chemin à dextre et les autres à senestre. Ainsi s’en allèrent à l’aventure ces deux chevauchées[1].

Quand les barons de Northonbrelande virent que leur homme ne retournoit point à l’heure que ils l’attendoient et que nulles nouvelles n’en oyoient, ni des Escots aussi, si entrèrent en soupçon et pensèrent bien ce que avenu en étoit. Si signifièrent l’un à l’autre que chacun se tint sur sa garde et tout prêt de traire sus les champs, si très tôt comme on orroit nouvelles des Escots ; car ils comptoient leur messager pour perdu.

Or parlerons de la chevauchée du comte de Douglas et des autres, car ils eurent plus à faire assez que ceux qui prirent le chemin de Carlion, et aussi ils ne demandoient que les armes.

Quand le comte de Douglas, et le comte de Mouret, et le comte de la Mare et de Dombare, qui capitaines étoient, se furent dessevrés l’un de l’autre, c’est à savoir de la grosse armée, et que chacun eut pris son chemin, ces trois comtes ordonnèrent que ils chevaucheroient devers le Neuf-Chastel-sur-Tyne, et iroient passer la rivière de Tyne à gué à trois lieues de Neuf-Chastel où bien savoient le passage, et entreroient en l’évêché de Durem, et chevaucheroient jusques à la cité, et puis retourneroient ardant et exillant le pays, et viendroient devant le Neuf-Chastel, et là se logeroient en dépit des Anglois. Tout ainsi comme ils l’ordonnèrent ils le firent ; et cheminèrent le bon pas à la couverte du pays sans entendre à pillage nul, ni assaillir tour, chastel ni maison ; et vinrent en la terre du seigneur de Percy et passèrent la rivière de Tyne sans nul empêchement, là où ils l’avoient ordonné, à trois lieues au-dessus du Neuf-Chastel, assez près de Branspes[2] et chevauchèrent tant que ils entrèrent en l’évêché de Durem où il a très bon pays. Quand ils furent là venus, lors commencèrent-ils à faire guerre, à occire gens, à ardoir villes et à faire moult de destourbiers. Encore ne savoient, le comte de Northonbrelande ni les barons et chevaliers de celle contrée, rien de leur venue. Quand les nouvelles vinrent à Durem et au Neuf-Chastel que les Escots chevauchoient, et on en vit moult tôt les apparens par les feux et les fumières qui en voloient sus le pays, le comte de Northonbrelande envoya ses deux fils au Neuf-Chastel-sur-Thine et il se tint en son chastel à Anvich[3] et fit partout son mandement, que chacun se traist avant devers le Neuf-Chastel, et dit à ses enfans : « Vous irez au Neuf-Chastel. Tout le pays s’assemblera là et je me tiendrai à Anvich ; c’est sur leur passage. Si nous les pouvons enclorre nous exploiterons trop bien, mais je ne sais encore comment ils chevauchent. » Messire Henry de Percy et messire Raoul son frère obéirent, ce fut raison ; et s’en virent au Neuf-Chastel où tous ceux du pays, gentils hommes et vilains, se recueilloient. Et les Escots chevauchoient qui ardoient et exilloient le pays tant que les fumières en venoient jusques au Neuf-Chastel. Les Escots furent jusques aux portes de la ville de Durem et livrèrent là escarmouche ; mais longuement ne fut-ce pas. Si se mirent au retour, si comme ordonné

  1. Il y a ici une erreur importante du copiste dans le manuscrit 8325 que j’ai pris pour guide ; il omet environ une trentaine de pages et passe de suite à la prise de Lindsay par l’évêque de Durham. Cette lacune me semblait d’autant plus fâcheuse que ce manuscrit est de beaucoup préférable aux autres pour l’exactitude de quelques détails, la correction du style et l’orthographe des noms propres. Mais en continuant la lecture de ce manuscrit j’y ai heureusement retrouvé, une trentaine de pages plus loin, la reprise du récit de l’affaire d’Otterbourn. Il paraîtrait que, suivant son habitude, adoptée depuis par l’Arioste, Froissart avait interrompu son récit à la prise de Lindsay pour passer au duc de Gueldres, et que de là il était revenu au récit de l’affaire d’Otterbourn. Le manuscrit 8325 présente cette interruption avec la différence que le copiste mal habile a terminé son premier récit au milieu d’une phrase, et qu’à la reprise de sa narration, il recopie de nouveau tout le commencement de la narration déjà transcrite par lui.

    De tous les historiens qui ont décrit la bataille d’Otterbourn, Froissart est incontestablement le plus exact à la fois et le plus pittoresque.

    Je continuerai à profiter des remarques de sir Walter-Scott. Si ce grand écrivain et célèbre antiquaire avait eu sous les yeux le manuscrit dont je publie ici le texte pour la première fois, il aurait eu beaucoup moins de peine à retrouver des noms, défigurés, il est vrai, par Froissart, mais plus corrompus encore par l’ignorance des copistes. Quand Froissart défigure les noms, il en rend du moins à peu près le son, et il a toujours le soin de donner aux individus, à la fois leur nom propre et leur surnom ; les copistes ont tout embrouillé et tout confondu.

  2. Brancepeth, à quatre milles de Durham, On y voyait encore il y a quelques années les ruines d’un fort beau château. Johnes dit qu’aujourd’hui on l’a rendu habitable.
  3. Alnwich. Les éditions françaises et les traductions anglaises de lord Berners et de Johnes disent Nimich, mot dans lequel il serait difficile de trouver de l’analogie avec le véritable nom Alnwick.