Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/730

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
724
[1388]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

l’avoient de commencement ; et tout ce que ils trouvoient devant eux qui bon leur étoit, que porter ou mener ils pouvoient, ils l’emportoient et menoient. Entre Durem et le Neuf-Chastel n’a que douze lieues angloises, mais grand’foison de bons pays y a-t-il. Oncques n’y demoura ville, si elle n’étoit fermée, qui ne fût arse ; et rappassèrent le Tyne là où passé ils l’avoient ; et s’en vinrent devant le Neuf-Chastel et là s’arrêtèrent. Tous chevaliers et écuyers du pays, de la sénéchaudie d’Yorch et de l’évêché de Durem, se recueilloient au Neuf-Chastel. Là vinrent le sénéchal d’Yorch, messire Raoul de Lomblé[1], messire Mathieu Redmen, capitaine de Bervich, messire Robert Avegle[2], messire Thomas Grée, messire Thomas Halton, messire Jean de Felleton, messire Jean de Lierbon[3], messire Guillaume Walsinchon[4], messire Thomas Abreton[5], le baron de Halton[6], messire Jean Colpedich[7] et moult d’autres ; et tant que la ville étoit si pleine que on ne savoit où loger.

Quand les trois comtes d’Escosse dessus nommés, qui capitaines et meneurs étoient de tous les autres, eurent fait leur emprise en l’évêché de Durem et moult tempêté le pays, ils s’en retournèrent devant le Neuf-Chastel, si comme ordonné l’avoient, et là s’arrêtèrent et furent deux jours par devant ; et toujours, la greigneur partie du jour, y avoit escarmouches. Là étoient les enfans du comte de Northonbrelande, deux jeunes chevaliers de bonne volonté, qui toujours étoient des premiers à l’escarmouche aux barrières. Là y avoit lancé et féru, escarmouché et fait maintes appertises d’armes ; et là main à main, devant les barrières et les bailles entre deux se combattirent une fois moult longuement ensemble le comte de Douglas et messire Henry de Percy. Et par appertise d’armes le comte de Douglas conquit le pennon à messire Henry de Percy ; dont il fut moult courroucé ; aussi furent tous les Anglois ; et là dit le comte de Douglas à messire Henry : « Henry, Henry, j’en rapporterai tant de votre parure en Escosse, et les mettrai sus mon chastel de Dalquest, au plus haut, par quoi on les verra de plus loin. » — « Par Dieu ! comte de Douglas, répondit messire Henry, vous ne les vuiderez jà hors de Northonbrelande ; soyez de ce tout assuré. Vous ne vous en avez que faire de vanter. »

Donc dit le comte de Douglas : « Or, venez doncques requerre anuit à mon logis votre pennon, car je le mettrai devant ma loge, et verrai si vous l’en viendrez ôter. »

À celle heure il étoit tard. Si cessa l’escarmouche ; et se retrairent les Escots à leurs logis et se désarmèrent et aisèrent de ce que ils eurent. Ils avoient assez de quoi, et par espécial de chairs tant que ils vouloient. Et firent celle nuit bon guet, car ils cuidèrent bien être réveillés, pour les paroles qui dessus avoient été dites ; mais non furent, car messire Henry ne le trouva pas en son conseil.

À lendemain les Escossois se délogèrent de devant le Neuf-Chastel et se mirent au retour devers leur pays ; et vinrent à un chastel et une ville qui s’appelle Pontlan[8], dont messire Aymon Alphel[9] est sire, et étoit un bon chevalier de Northonbrelande. Ils s’arrêtèrent là, car ils y vinrent à heure de prime : et entendirent que le chevalier étoit en son chastel. Adonc se ordonnèrent-ils pour assaillir le chastel ; et si y livrèrent très grand assaut ; et firent, tant par force d’armes, que ils le conquirent et le chevalier dedans. Si furent la ville et le chastel tout ars ; et puis s’en partirent et s’en vinrent jusques en la ville et le chastel d’Octebourg[10], à huit lieues angloises de Neuf-Chastel, et là s’arrêtèrent et logèrent. Et n’y firent ce jour point d’assaut. Mais à lendemain, à heure de prime, ils sonnèrent leurs buisines et s’appareillèrent tous pour le assaillir, et se trairent devers le chastel, lequel est fort assez, car il siéd en ma-

  1. Ralph de Langley, famille puissante de Northumberland, long-temps lord de Langley-Castle, suivant Walter Scott.
  2. Robert of Ogle.
  3. John Lilburne.
  4. William Walsingham.
  5. Thomas Abington.
  6. Le lord de Hallton.
  7. Sir John Copeland de Copeland-Castle, en Northumberland.
  8. Pontland, village sur la Blythe, à environ cinq milles de Newcastle.
  9. Raymond de Laval.
  10. Otterbourn, situé dans la province d’Elsdon, comté de Northumberland. Le château actuel d’Otterbourn est bâti sur les fondemens de l’ancien château que Douglas assiégeait au moment où il fut attaqué par Percy. Le champ de bataille est encore appelé Battle-Cross, parce qu’on avait élevé une croix à la place où était tombé Douglas.