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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sent venus à paix et à appointement envers le comte, si ce diable de chastel n’eût été ars. Outre, le comte les menaçoit grandement, et leur mandoit que jamais paix n’auroient si en auroit le comte tant à sa volonté que bien lui suffiroit. Les bonnes gens de la ville véoient bien que les choses alloient mal, et que les blancs chaperons avoient tout honni ; mais il n’y avoit si hardi qui en osât parler. Le comte de Flandre se partit de Mâle et s’en vint, lui et tous les gens de son hôtel, à Lille, et là se logea ; et manda là tous les chevaliers de Flandre et les gentilshommes qui de lui tenoient, pour avoir conseil comment il se pourroit maintenir de ses besognes et contrevenger de ceux de Gand qui lui avoient fait tant de dépits. Tous les gentilshommes de Flandre lui jurèrent à être bons et loyaux, ainsi que on doit être à son souverain seigneur, sans nul moyen. De ce fut le comte grandement réjoui : si envoya gens par tous ses chastels, à Tenremonde, à Riplemonde, à Alost, à Gavre, à Audenarde ; et partout fit grand garnisons.

Or fut trop grandement réjoui Jean Lyon quand il vit que le comte de Flandre vouloit ouvrer acertes, et qu’il étoit si enfellonni contre ceux de Gand qu’ils ne pourroient venir à paix, et qu’il avoit par ses subtils arts boutée la ville de Gand si avant dans la guerre qu’il convenoit, voulsissent ou non, qu’ils guerroyassent. Adonc dit-il tout haut : « Seigneurs, vous véez et entendez comment notre sire le comte de Flandre se pourvloit contre nous et ne nous veut recueillir à paix : si loue et conseille, pour le mieux, que, ainçois que nous soyons plus grévés ni oppressés, nous sachions lesquels de Flandre demeureront de-lez nous. Je réponds pour ceux de Grant-mont qu’ils ne nous feront nul contraire, mais seront volontiers de-lez nous ; aussi seront ceux de Courtray ; car c’est en notre chastellenie, et si est Courtray notre chambre[1]. Mais véez là ceux de Bruges qui sont grands et orgueilleux, et par eux toute cette félonnie est émue ; si est bon que nous allons devers eux, si forts que bellement ou laidement ils soient de notre accord. » Chacun répondit : « Il est bon. » Adonc furent ordonnés par paroisses tous ceux qui iroient en cette légation ; si s’ordonnèrent et pourvéirent, et tout par montre, ainsi que à eux appartenoit ; et se partirent de Gand entre neuf et dix mille hommes, et emmenèrent grand charroi et grands pourvéances ; et vinrent ce premier jour gésir à Douse. À lendemain ils approchèrent Bruges à une petite lieue près. Adonc se rangèrent-ils tous sur les champs et se mirent en ordonnance de bataille, et leur conroi derrière eux. Là furent ordonnés, de par Jean Lyon, aucuns doyens des métiers, et leur dit : « Allez-vous-en à Bruges, et leur dites que je et ceux de la bonne ville de Gand venons ici, non pour guerroyer ni eux gréver si ils ne veuillent, au cas que ils nous ouvriront debonnairement les portes ; et nous rapporterez s’ils nous voudront être amis ou ennemis ; et sur ce aurons avis. » Cils se partirent de la route qui ordonnés y furent ; et s’en vinrent aux bailles de Bruges, et les trouvèrent fermées et bien gardées. Ils parlèrent aux gardes et leur remontrèrent ce pourquoi ils étoient là venus. Les gardes répondirent que volontiers ils en iroient parler au brugemaistre et aux jurés qui là les avoient établis, ainsi qu’ils firent. Le brugemaistre et les jurés répondirent et dirent : « Dites-leur que nous en aurons avis et conseil ! » Ils retournèrent et firent cette réponse. Adonc se départirent des bailles les commis de Jean Lyon, et retournèrent vers leurs gens qui toujours tout bellement approchoient Bruges. Quand Jean Lyon ot ouï la réponse, si dit : « Avant ! allons de fait à Bruges ; si nous attendons que ils soient conseillés, nous n’y entrerons point, fors à peine ; si vaut mieux que nous les assaillons avant qu’ils se conseillent, par quoi soudainement ils soient surpris. » Cil propos fut tenu ; et vinrent les Gantois jusques aux barrières de Bruges et aux fossés, Jean Lyon tout premier, monté sur un cheval morel ; et mit tantôt pied à terre, et prit sa hache en sa main. Quand cils, qui gardoient le pas, qui n’étoient pas si forts adonc, virent là les Gantois venus en convenant pour assaillir, si furent tout effrayés ; et s’en allèrent les aucuns par les grands rues jusques au marché, en criant : « Véez-les-ci, véez les ci les Gantois ! or tôt aux défenses ! ils sont jà devant nous et devant nos portes. » Ceux de Bruges qui s’assembloient au marché pour

  1. Cela veut dire que Courtray était du district de Gand. Suivant P. d’Oudegherst, chap. 164 des Chroniques de Flandre, la ville de Gand est la première des principales lois de la Flandre flamingante, et Courtray était une des villes du quartier de Gand. Il est dit ci-après que Courtray était de la châtellenie de Gand.