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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et s’en alla droit à Tournay où il fut reçu à grand’joie ; car ceux de Tournay désiroient aussi moult à avoir la paix pour la cause de la marchandise qui leur étoit close sur la rivière de l’Escaut. Le duc de Bourgogne envoya l’abbé de Saint-Martin[1] en l’ost devant Audenarde, pour savoir comment ces capitaines de Gand voudroient entendre au traité. Si rapporta l’abbé au duc de Bourgogne que pour l’honneur de lui ils y entendroient volontiers. Si leur donna le duc sauf conduit jusques au pont de Rosne ; et aussi les Flamands lui donnoient et à ses gens, jusques à là. Si vint le duc au pont de Rosne parlementer aux Flamands et les Flamands à lui ; et duroit le parlement dès le matin jusques au soir que le duc retournoit à Tournay, le prévôt de Tournay en sa compagnie, qui l’amenoit et remenoit. Ces parlemens durèrent quinze jours, que à peine y pouvoit-on trouver moyen aucun ; car les Flamands vouloient avoir Audenarde abattue, et le duc ni le conseil ne s’y pouvoient assentir. Les Flamands qui se tenoient grands, fiers et orgueilleux, par semblant ne faisoient nul compte de paix ; car ils maintenoient que Audenarde et ceux qui dedans étoient ne s’en pouvoient partir fors que par leur danger, et les tenoient pour conquis. Le duc de Bourgogne, qui véoit ces Flamands grands et orgueilleux contre ces traités, avoit grand’merveille à quoi ils tendoient[2], et impétra un jour un sauf conduit pour son maréchal aller voir les chevaliers à Audenarde, et on lui donna trop légèrement. Le maréchal de Bourgogne vint à Audenarde et trouva les compagnons en bon convenant ; mais d’aucunes choses avoient grand’deffaute. Toutes fois ils dirent moult vaillamment : « Sire, dites de par nous à monseigneur de Bourgogne qu’il ne fasse pour nous nuls mauvais traités, car Dieu mercy nous sommes en bon point et nous n’avons garde de nos ennemis. » Ces réponses plurent moult grandement au duc de Bourgogne qui se tenoit au Pont de Rosne ; mais pour ce il ne laissa mie à poursuir son traité. Au voir dire, ceux de Bruges et d’Ypre étoient aussi comme tout tenus, et aussi étoient ceux du Franc, et ressoignoient l’hiver qui leur approchoit[3]. Si remontrèrent ces choses en conseil, au cas que le duc de Bourgogne, qui pour bien s’ensoignoit de cet affaire, s’étoit tant travaillé qu’il étoit venu devers eux ; et leur offroit à tout faire pardonner, et le comte amiablement retourner à Gand et là demeurer, et que de chose qui fût avenue il ne montreroit jamais semblant ; c’étoient bien des choses en quoi on se devoit tôt incliner, et que voirement on devoit reconnoitre son seigneur, ni on ne lui pouvoit tollir son héritage. Ces paroles amollirent grandement ceux de Gand et s’y accordèrent ; et donna un jour le duc de Bourgogne à dîner au pont de Rosne moult grandement aux capitaines de Gand et à ceux de Bruges et d’Ypre et de Courtray. En ce jour fut tout conclu que le siége se devoit lever, et bonne paix devoit être en Flandre entre le comte et ses gens : et pardonnoit tout le comte, sans nulle réservation, exception ni dissimulation ; et devoit le comte venir demeurer à Gand, et dedans l’an ceux de Gand devoient faire refaire son châtel de Andreghien que les Gantois avoient ars, si comme renommée couroit. Et pour toutes choses plus pleinement confirmer, Jean Pruniaux devoit venir à Tournay avec le duc de Bourgogne ; et là devoient les lettres authentiques être faites, escriptes et scellées. Sur cel état retourna le duc de Bourgogne à Tournay, et Jean Pruniaux et Jean Boulle retournèrent en l’ost. Au lendemain la paix fut criée entre celles parties. Si se défit le siége[4] et s’en alla chacun en sa maison et en son lieu. Et le comte de Flandre donna tout partout congé à ses soudoyers, et remercia les étrangers grandement des beaux services qu’ils lui avoient faits, et puis s’en vint à Lille pour mieux confirmer ces ordonnances que son beau-fils, le duc de Bourgogne, avoit faites. Et disoient les aucuns des pays voisins et lointains que c’étoit une paix à deux visages, et qu’ils se rebelleroient temprement, et que le comte ne s’y étoit accordé, fors pour ravoir la grand’foison de nobles chevaliers et écuyers qui gisoient en grand péril en Audenarde.

Jean Pruniaux, après le département du siége d’Audenarde, vint à Tournay moult étof-

  1. L’abbaye de Saint-Martin de Tournay était de l’ordre de saint Benoît.
  2. Était fort étonné de leurs desseins.
  3. On voit par-là que les conférences du pont de Rosne eurent lieu dans le mois de novembre 1379.
  4. Le siége d’Oudenarde fut levé le 3 décembre 1379, suivant l’Art de vérifier les dates.