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LIVRE IV.

beau pays et bon là environ. Messire Galéas, sire de Milan et comte de Vertus, se tenoit en la cité de Pavie et oyoit tous les jours nouvelles du convenant de ses ennemis, mais d’une chose s’émerveilloit, où le comte d’Armignac pouvoit prendre la finance pour payer et assouvir tant de gens d’armes que il avoit mis en son pays, mais on lui disoit quand il en parloit à son conseil : « Sire, ce sont gens de routes et de compagnies, qui ne demandent que à gagner et chevaucher à l’aventure. Ils ont conversé un long temps au royaume de France, et pris forts et garnisons, et pays où ils demeuroient, et n’en pouvoit-on avoir nulle délivrance. Or est ainsi advenu que le duc de Berry et le Dauphin d’Auvergne auxquels ils portoient grand contraire et dommage, car ils se tenoient, malgré que cils en eussent, au meilleur et plus bel de leurs héritages, et leur faisoient guerre, si ont traité et fait traiter devers eux le comte d’Armignac, pour tant que il s’offroit au roi de France et aux seigneurs dessus nommés à venir en ce pays pour vous faire guerre. Si les a mis hors des forts qu’ils tenoient, par force d’argent qu’ils ont eu, et parmi tant le roi de France et tous ceux qui cause avoient de eux guerroyer les ont absols et clamés quittes de tous leurs mesfaits ; mais par ordonnance et convenance, à leur département, ils ont promis servir le comte d’Armignac de leur pouvoir, en faisant sa guerre ; et tout ce que conquérir pourront sera leur ; ils ne demandent autres gages ; et tel se nomme homme d’armes en celle compagnie, et est à cinq ou six chevaux, qui iroit tout de pied en son pays, et y seroit un povre homme. Pour ce s’aventurent-ils légèrement ; si est une aventure très grande et un péril d’eux combattre, car la greigneur partie sont tous hommes de fait ; et le meilleur et le plus bon conseil que on vous puist donner, c’est que vous fassiez bien garder vos cités et bonnes villes, car elles sont fortes et bien pourvues, et ils n’ont point d’artillerie ni d’atournemens d’assauts dont on doive faire compte. Ils viendront bien aux barrières de vos villes lancer et escarmoucher et faire aucunes appertises d’armes, mais autre chose n’emporteront-ils ni autre dommage vous n’y aurez, ainsi que il appert ; ils ont déjà été en ce pays[1] plus de deux mois, mais ils n’ont pris ni conquêté, tant seulement un petit fort. Si les laissez aller et venir sans eux combattre. Ils se tanneront et dégâteront enfin de guerre mais que point ne soient combattus ; et quand ils auront exillié tout le plat pays, ils n’auront de quoi vivre ; si les conviendra retourner par famine, si autre fortune ou male aventure plus prochaine ne leur court sus. Et est bon que les gens d’armes que vous tenez et soudoyez en garnisons soient toujours trouvés ensemble, parquoi ils puissent aider et conforter l’un de l’autre et conseiller, ainsi qu’il leur fait mestier ; et envoyez ès cités et chasteaux, là où vos ennemis mettront et tiendront siége, parquoi les lieux dessus dits seront aidés et défendus, car les hommes manans ès cités et bonnes villes ne sont pas usés ni accoutumés de guerroyer aux assauts et défenses, ainsi comme sont gens d’armes, chevaliers et écuyers qui en sont faits et nourris. Si envoyez votre bachelerie dedans Alexandrie ; vous y aurez double profit ; votre cité en sera gardée et défendue aux assauts qu’ils feront, et si vous en aimeront vos gens mieux, quand ils verront que vous les aiderez et conforterez ; et à tout ce faire vous êtes tenu, au cas que vous dominez sur eux et qu’ils vous payent rentes et cens, subsides et aides que vous prenez à la fois sur eux. Vos ennemis ne peuvent être si forts sur les champs devant la cité d’Alexandrie que ils la puissent toute enclorre et environner, tant que gens d’armes là envoyés de par vous ne puissent bien entrer en la ville. Et quand ceux d’Alexandrie se trouveront et verront rafreschis de vos gens d’armes, ils en seront de meilleur courage et en plus grand amour devers vous, et ôteront de leurs cœurs et opinions, aucuns ou tous, traités sinistres qu’ils pourroient avoir envers vos ennemis. »

À ce conseil que on lui donna s’accorda le sire de Milan ; et furent tantôt et sans délai remis ensemble chevaliers et écuyers et toutes gens d’armes, qui se tenoient à lui et à ses gages, et se trouvèrent bien cinq cents lances quand ils se furent tous rassemblés. Si en fut chef, gouverneur et meneur un ancien chevalier, qui s’appeloit messire Jaqueme de la Verme[2], bien usé et accoutumé d’armes ; et chevauchèrent à la cou-

  1. Jean d’Armagnac était entré au mois de juillet en Italie, ainsi qu’on l’a vu plus haut.
  2. Jacques del Verme alla s’enfermer dans Alexandrie avec 2,000 lances et 4,000 fantassins. (Sismondi, tome vii, p. 315).