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LIVRE IV.

d’or, douze lampes d’argent, deux douzaines d’écuelles d’argent, six grands plats d’argent, deux bassins d’argent ; et y eut en somme pour trois cents marcs, que d’or que d’argent. Et fut ce présent apporté en la chambre de la roine en une litière, si comme ici dessus est dit, par deux hommes, lesquels étoient figurés, l’un en la forme d’un ours et l’autre en la forme d’une licorne.

Le tiers présent fut apporté semblablement en la chambre de la duchesse de Touraine par deux hommes figurés en la forme de Maures, noircis les viaires, et bien richement vêtus, touailles blanches enveloppées parmi leurs chefs, comme si ce fussent Sarrasins ou Tartares. Et étoit la litière belle et riche, et couverte d’un délié couvrechef de soie comme les autres, et aconvoyée et adextrée de douze bourgeois de Paris vêtus moult richement et tous d’un parement, lesquels firent le présent à la duchesse dessus dite ; auquel présent avoit une nef d’or, un grand pot d’or, deux drageoirs d’or, deux grands plats d’or, deux salières d’or, six pots d’argent, six plats d’argent, deux douzaines d’écuelles d’argent, deux douzaines de salières d’argent, deux douzaines de tasses d’argent ; et y avoit en somme, que d’or que d’argent, de deux cents marcs. Le présent réjouit grandement la duchesse de Touraine ; et ce fut raison, car il étoit beau et riche ; et remercia grandement et sagement ceux qui présenté l’avoient, et la bonne ville de Paris de qui le profit venoit.

Ainsi en ce jour, qui fut nommé mardi, furent faits, donnés et présentés au roi, à la roine et à la duchesse de Touraine, ces trois présens. Or considérez la grand’valeur des présens et aussi la puissance des Parisiens ; car il me fut dit, je auteur de cette histoire qui tous les présens vis, que ils avoient coûté plus de soixante mille couronnes d’or[1].

Ces présens faits et présentés il fut heure d’aller dîner ; mais ce jour, le roi, les dames et les seigneurs dînèrent en chambre pour plus légèrement avoir fait, car sur le point de trois heures après dîner l’on se devoit traire au champ de Sainte-Catherine, et là étoit l’appareil fait et ordonné très grand pour jouter, de loges et de hourds ouvrés et charpentés pour la roine et les dames. Or vous vueil nommer par ordonnance les chevaliers qui étoient dedans et s’appeloient les Chevaliers du soleil d’or. Et quoique ce fût pour ces jours la devise du roi, si étoit le roi de ceux de dehors, et jouta comme les autres à forain, pour conquerre le prix par armes. Il en pouvoit avoir l’aventure. Et étoient les chevaliers eux trente.

Tout premier le duc de Berry ; secondement le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le comte de la Marche, messire Jaquemart de Bourbon son frère, messire Guillaume de Namur, messire Olivier de Cliçon, connétable de France, messire Jean de Vienne, messire Jaqueme de Vienne seigneur de Pagny, messire Guy de la Trémoille, messire Guillaume son frère, messire Philippe de Bar, le seigneur de Rochefort Breton, le seigneur de Rais, le seigneur de Beaumanoir, messire Jean de Barbançon dit l’Ardenois, le Hazle de Flandre, le seigneur de Courcy Normand, messire Jean des Barres, le seigneur de Nantouillet, le seigneur de Rochefoucault, le seigneur de Garencières, messire Jean Harpedane, le baron d’Ivery, messire Guillaume Marciel, messire Regnault de Roye, messire Geoffroy de Charny, messire Charles de Hangiers, et messire Guillaume de Lignac.

Tous ces chevaliers étoient armés et parés en leurs targes du ray du soleil ; et furent sur le point de trois heures après dîner en la place de Sainte-Catherine ; et jà étoient venues les dames, la roine de France toute première. Et fut amenée jusques là en un char couvert si riche que pour le corps de li ; et les autres dames et duchesses, chacune en très grand arroy. Et montèrent, et entrèrent ens es échafauds qui ordonnés étoient pour elles.

  1. Le moine anonyme de Saint-Denis dit que la ville de Paris espérait, en faisant ces magnifiques présens, gagner les bonnes grâces de la reine et la décider à faire ses couches à Paris pour obtenir par ce moyen quelque diminution des impôts ; « mais il en arriva tout autrement, ajoute-t-il. Le roi emmena la reine, on rehaussa la gabelle et l’on décria encore la monnaie d’argent de douze et de quatre deniers qui courait depuis le règne de Charles V, avec défense de la passer, sous peine de la vie ; et comme c’était la monnaie du petit peuple et des mendians, ils en furent l’espace de plus de quinze jours dans la nécessité pour n’avoir pas de quoi rien acheter de tout ce qui était nécessaire à leur vie et à leur entretien. » (Moine de Saint-Denis, traduction de Le Laboureur, t. I, p. 175.)