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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Après vint le roi de France tout appareillé pour jouter, lequel métier il faisoit moult volontiers ; et quand il entra sur le champ, vous devez savoir que il étoit bien accompagné et arréé de ce que à lui appartenoit. Si commencèrent les joutes et les ébattemens grands et roides, car grand’foison de seigneurs y avoit de tous pays. Et vous dis que messire Guillaume de Hainaut comte d’Ostrevant jouta moult bien ; et aussi firent les chevaliers qui avec lui venus étoient : le sire de Gommegnies, messire Jean d’Audreguies, le sire de Chautain, messire Ancel de Trassegnies et messire Clinquart de Heremes. Tous le firent bien à la louange des dames. Et aussi jouta moult bien le duc d’Irlande, qui pour ces jours se tenoit en France de-lez le roi, car il y avoit été mandé. Aussi jouta moult bien un chevalier allemand dessus le Rhin qui s’appeloît messire Servais de Mirande.

Si furent ces joutes fortes et roides et bien joutées. Mais il y avoit tant de chevaliers que à peine se pouvoient-ils assener de plein coup ; et la foule des chevaux et la poudrière y étoit si très grande que ce les grévoit et empêchoit par espécial trop grandement. Le sire de Coucy s’y porta grandement bien. Si durèrent les joutes fortes et roides jusques à la nuit que on se déportoit, et furent les dames menées à leurs hôtels. La roine de France en son arroy fut ramenée à Saint-Pol ; et là fut le souper des dames si très grand, si très bel et si bien étoffé de toutes choses que peine seroit du recorder ; et durèrent les fêtes et les danses jusques à soleil levant ; et eut le prix des joutes, pour le mieux joutant de tous et qui le plus avoit continué, de ceux de dehors, par l’assentiment et jugement des dames et des hérauts, le roi de France ; et de ceux de dedans le Hazle de Flandres, frère bâtard à la duchesse de Bourgogne. Et pour ce que les chevaliers se plaignoient de la grand’poudrière qu’il avoit fait le jour des joutes, et disoient les aucuns que leurs faits en avoient été perdus ; le roi ordonna que on y pourvût. Si furent pris plus de deux cents porteurs d’eau qui arrosèrent la place ce mercredi et amoindrirent grandement la poudrière, mais nonobstant les porteurs d’eau, encore y en eut-il assez.

Ce mercredi arriva à Paris le comte de Saint-Pol qui venoit tout droit hors d’Angleterre et s’étoit moult hâté pour être à cette fête ; et avoit laissé derrière en Angleterre Jean de Chasteaumorant pour rapporter la charte de la trêve par mer. Si fût le comte de Saint-Pol le très bien venu du roi et de tous les seigneurs ; et étoit à cette fête, et de-lez la roine de France, sa femme qui fut moult réjouie de sa venue.

Le mercredi, après dîner, se trairent trente écuyers qui attendans étoient sur le champ où on avoit jouté le mardi ; et là vinrent les dames en grand arroy, si comme elles étoient venues le jour devant ; et montèrent sur les hourds qui ordonnés et appareillés pour elles étoient. Si commencèrent les joutes fortes et roides, qui furent bien joutées et continuées jusques à la nuit, que on se départit et retourna aux hôtels. Et fut le souper des dames à Saint-Pol qui fut grand, et bel, et bien étoffé ; et là fut donné le prix, par l’assentiment et jugement des dames et des héraults ; et l’eut un écuyer de Hainaut qui se nommoit Jean de Floyen venu en la compagnie du comte d’Ostrevant ; et de ceux de dedans, l’eut un écuyer du duc de Bourgogne qui s’appeloit Damp Jean de Pobières.

Encore de rechef, le jeudi ensuivant, joutèrent chevaliers et écuyers tous ensemble ; et furent les joutes roides, fortes et bien joutées ; car chacun se prenoit de bien faire. Et durèrent jusques à la nuit. Et fut le souper des dames et des damoiselles à Saint-Pol. Et là fut donné le prix des joutes ; et l’eut, pour ceux de dehors, messire Charles des Armoies, et de ceux de dedans, un écuyer de la roine de France que on appeloit Kouk.

Le vendredi, donna le roi de France à dîner à toutes les dames et damoiselles. Et fut le dîner grand, bel et bien étoffé ; et avint que, sur le défaillement du dîner, le roi séant à table, la duchesse de Berry, la duchesse de Bourgogne, la duchesse de Touraine, la comtesse de Saint-Pol, la dame de Coucy, et grand’foison de dames, entrèrent en la salle qui étoit ample et large, et qui faite étoit nouvellement pour la fête, deux chevaliers montés aux chevaux armés de toutes pièces pour la joute et les lances en leurs mains. L’un fut messire Regnault de Roye et l’autre messire Boucicaut le jeune ; et la joutèrent fortement et roidement. Tantôt vinrent autres chevaliers : messire Regnault de Trye, messire Guillaume de Namur, messire Charles des Armoies, le sire de Garencières, le sire de