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LIVRE IV.

grand’emprise ; et sur tels gens qui sont contraires à notre créance et la guerroyent tous les jours, nous devrions incliner au vouloir défendre. Si vous prions, beau neveu, tout acertes, que vous y vueilliez entendre, et promouvoir ce voyage au royaume d’Angleterre, quand vous y viendrez. » Le duc de Lancastre lui promit qu’il s’en acquitteroit, et si bien en feroit son devoir que on s’en apercevroit ; et sur cel état furent pris les congés ensemble.

Les parlemens qui se tinrent en la cité d’Amiens durèrent environ quinze jours. Et se départirent tout premièrement les seigneurs d’Angleterre qui là étoient venus ; et en rapportoient par écrit tous les traités qui là avoient été faits, pour remontrer au roi d’Angleterre et à son conseil. La duchesse d’Irlande se départit d’Amiens, et prit congé à son père, le seigneur de Coucy, et se mit au retour avecques ses oncles. Tous les Anglois se départirent. Et devez savoir que, depuis qu’ils issirent hors de la ville de Calais, venans à Amiens et eux retournans là, et étans à Amiens, ils ne dépendirent rien, si ils ne voulrent ; car le roi de France les fit toutes parts défretter eux et leurs chevaux. Le duc de Bourgogne s’en retourna en Artois et en la cité d’Arras, et là trouva la duchesse sa femme, qui avoit visité le pays de Flandre. Le duc de Touraine, le duc de Berry et le duc de Bourbon demeurèrent de lez-le roi. Et étoit l’intention du roi de venir à Beauvais et à Gisors, et là jouer et ébattre ; et par ce chemin retourner à Paris.

Vous devez savoir que avecques le duc de Lancastre et le duc d’Yorch se mirent en leur compagnie chevaliers de France, par l’ordonnance du roi et du conseil. Ce furent messire Jean de Chastel-Morant et messire Taupin de Cantemerle pour aller en Angleterre, et pour rapporter nouvelles et réponses des traités que les Anglois emportoient. Et vinrent à Calais, et jusques là aconvoyèrent messire Regnault de Roye, le sire de Mont-Caurel et le sire de la Vieu-Ville, les ducs d’Angleterre ; et là prirent congé et puis retournèrent, et les Anglois passèrent outre quand il leur plut et vinrent à Douvres, et là trouvèrent le roi et le duc de Glocestre qui les attendoient.

Quand le roi et ces seigneurs se virent, si eurent grand parlement ensemble sur l’état et ordonnance du parlement d’Amiens. Trop bien plaisoit au roi tout ce que fait en avoient ses oncles. Mais le duc de Glocestre, qui toujours a été dur et rebelle à ces traités, proposa sus ; et dit que là ils ne pouvoient faire, dire, proposer ni accepter nulle bonne proposition de paix ; et convenoit que ces traités et procès fussent apportés au palais de Westmoustier à Londres, et le conseil général des trois états d’Angleterre tous là mandés ; et ce que ils en feroient et conseilleroient, on en feroit, et non autrement.

La parole du duc de Glocestre fut tenue et ouïe ; on n’eût osé aller à l’encontre, car il étoit trop grandement en la grâce et amour du pays. Adonc fut dit aux deux chevaliers de France qui là venus étoient : « Il vous en faut venir avecques nous à Londres, autrement ne pouvez-vous avoir réponse. » Les deux chevaliers obéirent ; ce fut raison ; et se mirent au chemin, quand le roi d’Angleterre et les seigneurs se mirent. Et exploitèrent tant que la greigneur partie des seigneurs vinrent à Londres. Le roi Richard d’Angleterre, quand il vint à Dardeforde[1], prit la voie et le chemin de Eltem[2], un très beau manoir, et là se tint et rafreschit, car la roine sa femme y étoit ; et depuis vinrent-ils à Cenes[3], et de là ils s’en allèrent pour la Saint-George à Windsor ; et là furent les chevaliers de France répondus. Mais avant que je vous die la réponse qu’ils eurent, je vous parlerai un petit du roi de France.

Après ce que le parlement eut été à Amiens, le roi de France eschey, par incidence et par lui mal garder, en fièvre et en chaude maladie, dont lui fut conseillé à muer air. Si fut mis en une litière et vint à Beauvais ; et se tint, tant qu’il fût gary, au palais de l’évêque, son frère de Touraine de-lez lui, et ses oncles de Berry et de Bourgogne. Et là tinrent ces seigneurs leur Pâque. Et depuis, quand le roi fut tout fort et en bon point, et que bien il pouvoit chevaucher, il s’en vint à Gisors, à l’entrée de Normandie, pour avoir le déduit des chiens, car il y a environ grand’foison de beaux bois. Le roi étant à Gisors, messire Bernard d’Armignac, qui frère avoit été du comte Jean d’Armignac, vint là en bon arroi, le comte Dauphin d’Auvergne que il trouva à Paris en sa compagnie, et releva la

  1. Dartfort.
  2. Eltham.
  3. Richemond.