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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Finablement, avisé fut et conseillé, pour cause de ce que le duc d’Orléans étoit trop jeune pour entreprendre un si grand fait, que les deux oncles du roi, le duc de Berry et celui de Bourgogne en auroient le gouvernement, et principalement le duc de Bourgogne ; et que madame de Bourgogne se tiendroit toute coi lez la roine, et seroit la seconde après elle. Or s’avisa, si comme je vous dis, le sire de Coucy de maître Guillaume de Harselli ; si en parla aux oncles du roi ; et leur remontra, pour le profit du roi et pour sa santé recouvrer, la prudence et la vaillance du dit maître Guillaume. Le duc de Berry et le duc de Bourgogne y entendirent et le mandèrent ; il vint à Paris. Quand il fut venu, le sire de Coucy, devers qui il se trait premièrement, car il étoit grandement son connu, l’emmena devers les oncles du roi et leur dit : « Véez-ci maître Guillaume de Harselli dont je vous avois parlé. » — « Il soit le très bien venu, » répondirent les trois ducs. Ils le recueillirent et firent très bonne chère, et puis l’ordonnèrent pour aller à Cray voir et visiter le roi, et demeurer tant devers lui que il seroit en bon état. Le dit maître Guillaume, à la contemplation et ordonnance des seigneurs, se départit de Paris en bon état et arroi, ainsi comme à lui appartenoit, et se mit au chemin ; et vint à Cray ; et ainsi comme les ducs lui avoient ordonné il fit, et se tint tout coi de-lez le roi ; et emprit sur tous les autres médecins la souveraine administration de lui curer ; et vit bien et connut que la maladie étoit curable, et que le roi l’avoit conçue et prise par foiblesse de chef et par incidence de coulpe. Si, pour y pourvoir et remédier, il entendit et obvia grandement.

Les nouvelles de la maladie du roi de France s’espartirent moult loin ; et qui qu’en fut dolent et courroucé, vous devez croire et savoir que le duc de Bretagne et messire Pierre de Craon n’en firent pas grand compte. Mais l’eurent tantôt pleuré, car il les avoit accueillis à trop grand’haine.

Quand le pape de Rome, Boniface, et les cardinaux en sçurent la vérité, si en furent tous réjouis ; et se mirent ensemble en consistoire ; et dirent que le plus grand de leurs ennemis étoit le roi de France, qui étoit battu de verges crueuses, quand Dieu lui avoit tollu son sens ; et que celle influence étoit du ciel descendue sur lui pour le châtier ; et que trop avoit soutenu cet antipape d’Avignon ; et la plaie crueuse lui étoit envoyée pour employer son royaume. Et tenoient entre eux et disoient que leur querelle en seroit plus belle. À considérer toutes choses et parler par raison, voirement fut ce une grand’signifiance, et dont le pape Clément et les cardinaux d’Avignon se dussent bien être avisés et ébahis ; mais ils n’en firent compte, fors pour l’honneur du roi et du royaume ; et dirent entre eux que du roi qui étoit jeune et plein de ses cuiders et volontés on ne pouvoit ni ne devoit attendre autre chose, car on le laissoit trop convenir, et avoit laissé du temps passé, et que petitement et foiblement on l’avoit gardé ; et que trop il avoit fait d’excès de chevaucher par nuit et par jour, de travailler son corps et son chef en toutes peines hors mesure et les articles de raison ; et que ceux qui gouverné l’avoient du temps passé en devroient être chargés et nuls autres, car c’est leur coulpe. Et s’ils eussent au roi, en son enfance et jeunesse, donné une rieulle raisonnable, et l’eussent tenu en icelui par le conseil et ordonnance de ses oncles, cette incidence de maladie ne lui fût point avenue. « Avec tout ce, il a trop grand membre de raison, car il promit au pape, et jura sur sa foi et en parole de roi, que il s’ordonneroit tellement que par puissance il détruiroit cet antipape de Rome et ses cardinaux, et ôteroit le schisme de l’Église, et remettroit les choses, qui sont moult troublées, en bon état ; et il n’en a rien fait ; mais est allé de tous points contre sa parole et son serment, dont Dieu est courroucé. Et pour le aviser, il le bat de celle verge de frénésie ; et c’est, à entendre raison, tout pour nous. Et si il retourne à sanlé, ainsi que bien le pourra faire, il nous y faudra envoyer suffisans et sages légaulx, qui lui remontreront vivement et sagement la deffaute de ses promesses, afin que point ne les ignore par notre négligence. »

Ainsi se devisoient en Avignon et proposoient le pape et les cardinaux ; et amettoient que de celle maladie, dont il étoit battu, il l’avoit grandement acquis, et en étoit cause ; et tournoient trop grandement le mesfait et l’incidence de l’aventure sur lui, sur ses gardes et sur le conseil de sa chambre. Aussi faisoient bien autres gens parmi le royaume de France sans eux. On envoya en une ville que on appelle Aspre, et siéd