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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/174

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

un commandement de par les dessus dits qu’il allât tenir son corps prisonnier au chastel du Louvre ; et au Bègue de Vilaines, comte de la Ribedée en Espagne, aussi. Ils y allèrent. On envoya à l’hôtel de Montagu ; mais ceux qui envoyés y furent ne le trouvèrent point ; et si ne savoit nul à dire quel part il étoit allé ni trait ; on le laissa quand on ne le put avoir.

On demanda si Olivier de Cliçon étoit à Paris ; et fut envoyé quérir à son hôtel, pour lui faire commandement, si on l’eût trouvé, que il fût aussi allé tenir son corps prisonnier au chastel du Louvre : on ne le trouva point, ni homme de par lui, fors le concierge qui gardoit l’hôtel et n’en savoit nulles nouvelles. On laissa ainsi ester ces paroles deux jours, tant que on sçut de vérité qu’il étoit en son hôtel de Mont-le-Héry. Quand les seigneurs le sçurent, qui le vouloient prendre et attrapper, et si tenu l’eussent, mal et laid lui fût allé, ils ordonnèrent tantôt le Barrois des Barres et messire Jean de Chastel-Morant, le seigneur de Coucy et messire Guillaume de la Trémoille, à trois cents lances ; et leur fut dit : « Allez-vous-en à Mont-le-Héry ; environnez la ville et le chastel, et ne vous partez point de là sans nous ramener Cliçon mort ou vif. »

Les chevaliers obéirent, et faire leur convint ; car les deux ducs, pour l’heure, avoient l’administration du royaume de France ; et se départirent de Paris à plus de trois cents lances, non pas tous à une fois, mais par cinq routes, afin que leur issue fût moins connue. Dieu aida si bien le connétable, et eut si bons amis en la chevauchée, que cette venue lui fut signifiée si bien à temps et à point, que il ne y prit nul dommage ; et se départit lui et ses gens, et se mit au chemin, et chevaucha tant, par voies couvertes, par bois et par bruyères, hors des cités et en sus des villes fermées, que il vint sauvement et sûrement en Bretagne ; et se bouta en un sien chastel bien garni et pourvu de toutes choses, lequel on appelle Chastel-Josselin ; et là se tint tant qu’il ouït autres nouvelles.

Pour ce ne demeura pas que le Barrois des Barres et les autres chevaliers dessus nommés ne se missent en peine de faire leur emprise, ainsi que chargé leur étoit ; et vinrent au Mont-le-Héry, et se saisirent de la ville, et environnèrent le chastel, et furent là une nuit ; et cuidoient que le connétable fût dedans, mais non étoit, ainsi que vous savez ; et s’ordonnèrent au matin ainsi que pour assaillir. Les varlets qui étoient au chastel envoyèrent devers les chevaliers pour savoir quelle chose on leur demandoit ; ils répondirent que ils vouloient avoir messire Olivier de Cliçon, et que pour ce étoient-ils là venus.

Les varlets qui le chastel gardoient répondirent et dirent que le sire de Cliçon étoit départi de là, passé quatre jours ; et offroient à ouvrir le chastel et quérir partout. Les chevaliers prirent cette offre et allèrent au chastel et toutes leurs routes, armés de pied en cap, ainsi que pour combattre ; et ce firent afin que là dedans ils ne fussent surpris de trahison ni de aucune embûche. Mais ils trouvèrent tout en vérité ce que les varlets du seigneur de Cliçon avoient dit. Si cherchèrent-ils haut, bas et partout, mais rien ne trouvèrent. Donc se départirent-ils et retournèrent vers Paris. Si contèrent à ceux qui les avoient envoyés comment ils avoient exploité.

Quand le duc de Berry et le duc de Bourgogne virent, et leurs consaux, que messire Olivier de Cliçon leur étoit échappé, si furent moult courroucés ; et le duc d’Orléans et le duc de Bourbon tout réjouis. Or dit le duc de Bourgogne : « Il a montré que il se doute ; pour ce, si il s’en est allé et fui, n’est-il pas quitte : nous le ferons traire et revenir avant hâtivement, ou il perdra tout ce où nous pourrons la main mettre, ni jà n’en sera déporté ; car il a sur lui plusieurs articles déraisonnables, qui ne demandent que jugement de punition ; et si les grands, et les puissans et les mauvais, n’étoient punis et corrigés, les choses ne seroient point justement proportionnées, et se contenteroient mal les petits et les foibles ; et justice doit être loyale et non pas épargner ni fort ni foible, parquoi tous s’y exemplient[1]. » Ainsi disoit et devisoit le duc de Bourgogne ; et messire Olivier de Cliçon étoit mis et bouté sauvement et sûrement en son chastel, lequel on nomme Chastel-Josselin en Bretagne, et étoit bien pourvu de tout ce qu’il appartenoit pour tenir et garder. Et ce propre jour que le Barrois des Barres fut retourné à Paris devers les seigneurs, et que il leur eut dit et conté que messire Olivier de Cliçon n’étoit point au chastel

  1. Prennent exemple.