Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1394]
217
LIVRE IV.

côté de France, sur ces traités n’étoient point là, mais à Lolinghen contre les Anglois. Si dit le roi à Robert, quand il eut bien imaginé et considéré tout le fait : « Robert, notre conseil est encontre les Anglois à Lolinghen. Vous vous tiendrez ici tant que ils retourneront ; et eux revenus, je parlerai à mon oncle de Bourgogne et au chancelier, et ferai ce que pour le mieux ils me conseilleront. » Robert répondit : « Sire, Dieu y ait part. »

En celle propre semaine retournèrent en Abbeville ceux du conseil du roi ; et apportoient aucuns articles sur la forme de paix que les Anglois avoient mis outre ; et étoient si grands que ceux qui s’entremettoient du traité de par le roi de France, ne les vouloient pas accepter ni passer sans savoir l’intention du roi. Si que, quand ils furent venus, ils lui remontrèrent. Adonc trait à part le roi son oncle de Bourgogne et le chancelier, et leur remontra ce dont Robert l’Ermite l’avoit endité et informé, et leur demanda si c’étoit chose licite à croire et mettre sus. Ils regardèrent l’un l’autre et pensèrent un petit ; puis eux avisés de parler, dirent qu’ils vouloient voir ce Robert et ouïr parler, et sur ce ils auroient avis. Robert fut mandé et vint, car il n’étoit pas loin de la chambre où les parlemens secrets du roi étoient. Quand il fut venu devers le roi et le duc de Bourgogne, il les honora, ainsi comme bien il le sçut faire. Adonc dit le roi : « Robert, remontrez-nous ci tout au long votre parole et de laquelle vous nous avez informé. » Robert répondit et dit : « Volontiers »

Là emprit-il à parler moult doucement, et ne fut de rien effrayé ni ébahi ; et leur recorda les paroles tout au long que vous avez ouïes ci-dessus, auxquelles ils entendirent volontiers. Donc, le firent-ils issir de la chambre et y demeurèrent tous trois ensemble. Le roi demanda à son oncle quelle chose en étoit bonne à faire. « Monseigneur, nous et le chancelier en aurons avis dedans demain. » — « Bien, » dit le roi.

Sur cel état, ils finirent leur conseil. Depuis furent ensemble le duc de Bourgogne et maître Regnaut de Corbie, chancelier de France, et parlèrent de cette matière assez longuement, à savoir qu’ils en feroient ; car ils véoient bien que le roi s’y inclinoit grandement ; et vouloit que Robert fut ajouté avecques eux en ces traités de parlement, car il avoit moult douce et belle parlure, et convertissoit par son langage tous les cœurs qui l’oyoient parler. Conseillé fut et avisé pour le meilleur, au cas que ce Robert remontroit ce par manière de miracle et vision divine, qu’on le lairroit convenir et venir aux traités et parlemens, pour remontrer aux seigneurs d’Angleterre et à tous ceux qui ouïr voudroient, tout ce dont il les avoit informés, et que c’étoit chose bien licite à faire ; et tout ce dirent-ils le lendemain au roi. Sur cel état, quand le duc de Bourgogne et le chancelier de France retournèrent aux parlemens et traités à Lolinghen à l’encontre des Anglois, ils menèrent ce Robert l’Ermite avecques eux, lequel étoit moult bien fondé de parler, ainsi que vous avez ouï ; et quand tous les seigneurs François et Anglois furent ensemble en parlement, voire ceux qui y doivent être, Robert l’Ermite vint parmi eux ; et là commença à parler froidement et sagement, et à remontrer toute l’aventure qui sur mer lui étoit avenue ; et disoit et maintenoit en ses paroles que la vision qui lui étoit avenue étoit inspiration divine, et que Dieu lui avoit transmis pour tant qu’il vouloit qu’il fût ainsi.

En ces paroles remontrant entendoient aucuns seigneurs d’Angleterre qui là étoient présens volontiers, et s’y inclinoient en bien, tels que le duc de Lancastre et le comte de Salsebry, messire Thomas de Percy et messire Guillaume Clanvou, l’évêque de Lincol et l’évêque de Londres ; mais le duc de Glocestre et le comte d’Arondel n’en faisoient nul compte. Et dirent depuis en l’absence des ambaxadeurs de France, eux retournés à leurs logis, que ce n’étoit que fantôme et toutes paroles controuvées et faites à la main pour eux mieux abuser ; et eurent conseil généralement que ils en escriproient devers le roi d’Angleterre, et tout l’état de ce Robert l’Ermite, quelle chose il avoit dite et proposée. Et fut ce conseil tenu ; et renvoyé en Angleterre devers le roi un chevalier et chambellan du roi qui s’appeloit messire Richard Credon ; et trouva le roi d’Angleterre en la comté de Kent, en une place et beau chastel que on dit Ledes ; et la lui bailla le chevalier les lettres que les seigneurs traiteurs de sa partie, qui se tenoient en la frontière de Calais, lui envoyoient ; et dedans étoit contenu toute la certaineté et signifiance de ce Robert l’Ermite. Le roi d’Angleterre lisit tout au long les lettres et