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LIVRE IV.

lât de ce voyage de Frise ; car le roi et il ne vouloient point qu’il y allât. Ainsi ôta ce duc de Guerles en celle saison au comte de Hainaut et à son fils l’aide et compagnie du comte Derby, dont il sembla à plusieurs qu’il ne fut pas bien avisé ni conseillé, ni point n’aimoit l’honneur de l’un ni de l’autre. Et de celle condition et nature fut-il toute sa vie envieux, présomptueux et orgueilleux.

Pour ce ne demeura pas que Fier-à-Bras de Vertaing, qui envoyé étoit en Angleterre pour avoir des compagnons en ce voyage, ne fît grandement sa diligence, et eût chevaliers et écuyers et bien deux cens archers ; mais le comte Derby, par la manière que je vous ai dit, s’excusa. Laquelle excusance il convînt avoir et prendre en gré. Mais on vît bien que volontiers y fût allé si le roi n’y eût mis défense, à la prière et moyen du duc de Lancastre. Si ordonna le roi, pour l’avancement de ses cousins de Hainaut, sur la rivière de la Tamise, à avoir vaisseaux à ses coûtages, pour mener les Anglois qui en ce voyage iroient jusques à Encuse[1], une ville qui est au comte de Hainaut, et tout au bout du pays de Hollande ; et gît celle ville d’Encuse sur la mer, à douze lieues d’eau près du royaume de Frise.

En ce temps fut envoyé en Angleterre, de par le roi de France, le comte Waleran de Saint-Pol, sur aucuns articles et matières en devant mises en traités et proposées sur forme de paix. Et étoit le dit comte de Saint-Pol informé, de par le roi de France et son conseil, pour remontrer secrètement et vivement au roi d’Angleterre. Et avec lui fut envoyé Robert l’Ermite, qui de la paix avoit jà traité et parlé au roi d’Angleterre, et volontiers en fut ouï. Quand le comte de Saint-Pol fut venu en Angleterre, il trouva le roi et ses frères, le comte de Kent et le comte de Hostidonne, et son oncle le duc de Lancastre, en un très bel manoir que on dit Eltem. Le roi le recueillit doucement et liement, car bien le savoit faire, et entendit à toutes ses paroles volontiers, et lui dit à part : « Beau frère de Saint-Pol, tant que au traité de la paix à avoir à mon beau-père le roi de France, je m’incline du tout, mais je ne puis pas tout seul faire ni promouvoir celle besogne. Voir est que mes frères et mes deux oncles de Lancastre et d’Yorch s’y inclineroient assez tôt ; mais j’ai un autre oncle de Glocestre trop périlleux et merveilleux, et qui en ce met tout le trouble qu’il peut ; et ne cesse de traire les Londriens à sa volonté pour mettre une rebellion au pays, et pour émouvoir et faire élever le peuple à l’encontre de moi. Or regardez le grand péril ; car si le peuple d’Angleterre se relevoit secondement à l’encontre de moi, et ils eussent mon oncle de Glocestre et aucuns autres hauts barons et chevaliers d’Angleterre qui sont de leur accord et alliance, que bien sais, le royaume seroit perdu. Et si n’y sais comment pourvoir, car mon oncle de Glocestre est de si merveilleuse manière et couverte, que nul ne se connoît en lui. » — « Monseigneur, répondit le comte de Saint-Pol, il le vous faut mener par douces paroles et amoureuses. Donnez-lui du vôtre largement. S’il vous demande quoi que ce soit, accordez-lui tout ; car c’est la voie par laquelle vous le gagnerez. Il le vous faut blandir tant que vous en aurez fait que le mariage soit passé et que vous ayez votre femme amenée en ce pays. Et quand tout sera fait et accompli, vous aurez nouvel avis et conseil, et aurez bien puissance de ôter les rebelles à vous et mauvais contre vous. Car le roi de France au besoin vous aidera. De ce devez vous être assuré. » — « En nom Dieu ! dit le roi, beau-frère, vous parlez bien, et je le ferai ainsi. »

Le temps que le comte de Saint-Pol fut en Angleterre, il étoit logé à Londres et souvent alloit voir le roi à Eltem et le duc de Lancastre ; et avoient parlement ensemble, et le plus sur les ordonnances de ce mariage. Ordonné étoit en France, et le comte de Saint-Pol avoit remontré au roi d’Angleterre, que le roi de France et ses oncles viendroient à Saint-Omer et amèneroient la jeune fille qui devoit être roine d’Angleterre ; et étoit leur intention que le roi d’Angleterre viendroit à Calais ; et là entre Saint-Omer et Calais les deux rois se verroient ; car de vue et de parlure ensemble c’est conjonction d’amour ; et auroient secrets traités les deux rois et leurs oncles, sans plus ensoigner planté de gens sur la forme et ordonnance de paix, avant que le roi d’Angleterre amenât sa femme en Angleterre ; et si paix n’y pouvoit avoir on alongeroit les trèves trente ou quarante ans à durer entre les deux royaumes et leurs conjoins et adhérens. Celle ordonnance sembla bonne et belle au roi et à son

  1. Enckuysen.