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LIVRE IV.

se voulsissent armer et appareiller, et aussi pourvoir de bons compagnons, chacun selon sa puissance, le mieux en point que faire le pourroient ; et voulsissent tous de bonne volonté et par bonne affection, pour son honneur et le leur avancer, le suivir et être en sa compagnie en sa ville de Eyncuse en la basse Frise, à Mecmelic et de là entour, pour avec lui monter en mer et passer en la haute Frise où il entendoit à être, au plaisir de Dieu, à la mi-août prochainement venant ; et que là les attendroit-il ; car son intention étoit de aller devant, pour tous ses affaires préparer et ses gens d’armes recueillir et assembler, et aussi Hollandois et Zélandois émouvoir et induire à son service faire et son désir accomplir. Tous lesquels chevaliers, seigneurs et écuyers Hainuyers, débonnairement et sans quelconque contredit lui accordèrent sa requête, et promirent tout service à faire comme ses loyaux vassaux. À quoi nulle défaute le dit duc Aubert ni Guillaume le comte d’Ostrevant ne trouvèrent ; mais très diligemment se préparèrent et ordonnèrent ; et firent tant que à l’entrée du mois d’août, en l’an mil trois cent quatre vingt seize, ils furent tous prêts et appareillés ; et se mirent au chemin, par routes ou par compagnies tant bien étoffées de compagnons et de gens d’armes que mieux dire on ne pourroit ; et s’en allèrent à Anvers pour monter sur l’eau et aller à Eyncuse en la basse Frise où l’assemblée se faisoit, ainsi que dit est.

Or pensez si adonc au pays de Hainaut que ces apparens se faisoient, et que ces gentils chevaliers et écuyers et gentils hommes, et aussi plusieurs autres gentils compagnons, se appareilloient, les dames et les damoiselles et plusieurs autres femmes étoient joyeuses ? il vous faut dire, non ; car elles véoient les unes leurs pères, leurs frères, leurs oncles, leurs cousins et leurs maris, et les autres leurs amis par amour qui s’en alloient en celle guerre très périlleuse et mortelle ; car à aucunes et plusieurs bien souvenoit comment, au temps passé, les Hainuyers avec leur seigneur le comte Guillaume y étoient demeurés morts. Si doutoient encore que ainsi ne avînt à leurs amis comme il avoit fait à leurs prédécesseurs ; et moult bon gré en savoient à la duchesse de Brabant, qui avoit défendu partout son pays de Brabant que nul gentil homme ni autre ne s’y avançât d’y aller. Si en parloient les dites dames souvent à leurs amis, en eux priant que ils se voulsissent déporter de ce voyage faire ; et en tenoient souvent plusieurs parlemens et consaux, qui bien peu leur profitoit. Toutes voies elles en savoient très mauvais gré au bâtard de Vertaing, c’est à savoir à Fier-à-Bras ; car elles disoient que c’étoit celui qui plus avoit ému la besogne.

Quand le duc Aubert et Guillaume, son fils, eurent ouïe la réponse de leurs bonnes gens de Hainaut, ils s’en retournèrent en Zélande, et remontrèrent aux Zélandois, lesquels décendirent très bénignement à leur requête et pétition ; et à ces exploits faire s’inclinoient grandement le seigneur de la Vère, messire Floris de Borsel, messire Floris d’Axel, le seigneur de Zenenberghe, messire Clais de Borsel et messire Philippe de Cortien, et plusieurs autres gentils hommes, tous lesquels se mirent prestement en armes et en ordonnance de très bel arroy, et montrèrent très bien à leur appareiller que ils avoient tous désir de eux avancer.

Après ces choses, passèrent les deux seigneurs et princes dessus dits, c’est à savoir le père et le fils, en Hollande ; et là pareillement ils firent leurs requêtes aux Hollandoïs, et espécialement aux barons et bonnes villes, ainsi qu’ils avoient fait en Hainaut et en Zélande. Et à voire dire les Hollandois furent moult joyeux, car sur toutes choses héent les Frisons, et par espécial les chevaliers et écuyers du pays, pour ce qu’ils ont continuelles guerres ensemble sur la mer et sur les bondes des pays, et prennent et pillent souvent et menu l’un sur l’autre. Et pourtant les seigneurs de Hollande, tels que le seigneur d’Axel, le seigneur d’Ogement, messire Thierry son frère, le seigneur de Brederode, Waleran son frère, le seigneur de Wassenaer, le Bourgrave de le Leyde, messire Thierry son frère, messire Henry de Waldech, messire Floris d’Alckemade, le seigneur de Callenbourch, le seigneur d’Aspre, messire Rustan de Garrowède, Willaume de Cronembourch, qui lors étoit un écuyer d’honneur, Jean et Henry ses deux fils, le seigneur de la Merwede, messire Jean de Drongle, messire Guevrand de Gemsberghe, Clais de Sueten, messire Guy de Poelgheest et plusieurs autres gentils écuyers et nobles hommes, oyans les supplications et hauts vouloirs de leurs princes le