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LIVRE IV.

moille, messire Boucicaut et plusieurs autres ; et messire Philippe de Bar mort sur la place, et messire Jean de Vienne, Guillaume de la Tremoille et son fils. Sur l’espace de trois heures, cette grosse bataille fut faite ; et perdit le roi de Honguerie tout son arroi entièrement et sa vaisselle d’or et d’argent qui là avoit joyaux et autres choses ; et se sauva lui septième tant seulement ; et entra en un batel de Rhodes lequel avoit là amené pourvéances[1], dont il lui

    vino, tutti li guerrieri e soldati fedeli s’arricchirono con diverse bellissime robbe e presiossissime spoglie de’nemici ; e il rè detestando il vino e la crapola, rese infinite grazie, e lodi a Dio per quel gran beneficio, e fece volo de fabricare Tempij, Moschée, et altre fabriche pie, e con questo santo pensiero e proposito sene ritornò à Brussa.

    HISTORIENS GRECS.

    Michel Ducas, dans le chapitre xiii de son Histoire bysantine, dit quelques mots de cette affaire ; je me contente de traduire les parties qui s’y rapportent.

    « L’empereur Manuel se voyant tous les jours plus pressé par le tyran Bajazet, et n’apercevant aucun secours prochain, écrivit au pape, au roi de France et au crale de Hongrie, en leur annonçant que Constantinople était réduite à la plus grande extrémité, et que s’ils ne venaient pas promptement à son aide il serait forcé de rendre cette ville aux ennemis de la foi. Excités par ces discours, les chefs de l’occident prirent les armes pour résister aux ennemis de la croix, et à l’approche du printemps on vit arriver en Hongrie le roi de Flandre, un grand nombre d’Anglais, les plus grands de la France et beaucoup d’Italiens. À l’approche de la canicule, ils campèrent sur la rive du Danube, ayant avec eux le crale de Hongrie, Sigismond, qui était en même temps empereur des Romains. Ayant passé le Danube devant Nicopoli, ils se préparèrent à combattre avec courage contre Bajazet.

    « Bajazet fut bientôt informé que les hommes de l’Occident avoient levé une armée, et il se hâta de rassembler ses troupes de l’orient et de l’occident et y réunit celles qui formaient le siége de Constantinople. Marchant vers l’occident il traversa Philippopolis et s’approcha des hautes montagnes qui dominent les marais près de Sophia. C’est là qu’il s’arrêta et les attendit. Le lendemain, les Chrétiens s’avancèrent en bataille, en présence de l’armée des Turcs. Ils formèrent la tortue, brisèrent du premier choc le milieu de la phalange ennemie et combattirent avec la plus grande vigueur. Ils pénétrèrent enfin jusqu’aux dernières lignes et massacrèrent tout ce qu’ils rencontrèrent. Se réunissant de nouveau en masse serrée, ils se conduisirent avec tant de vigueur que les frondeurs et les archers turcs ne purent avoir aucune prise sur eux.

    « Dès que ceux de Flandre aperçurent que l’avantage était de leur côté, et que les Turcs prenaient la fuite, ils les poursuivirent en courant. Après avoir passé les retranchemens des Turcs et ensanglanté le champ de bataille ils retournèrent à leurs retranchemens. Les Turcs, avec leur chef Bajazet, qui prennent le nom de Porta (Porte) comme s’ils étaient les portes du palais de la cour, tous salariés et de différentes tribus, au nombre de plus de dix mille, cachés dans une embûche pour n’être pas vus, se concertèrent et attaquèrent en poussant de grands cris ; et après les avoir entourés et en être venus aux mains avec eux, ils massacrèrent les uns et mirent les autres en fuite.

    « Les hommes de Flandre, ayant vu la fuite des Hongrois et les Turcs les poursuivre en poussant de grands cris, prirent eux-mêmes la fuite. Tout à coup d’autres ennemis avec des cris retentissans et le bruit de leurs trompettes tombèrent sur les Francs, chassèrent les uns, démontèrent les autres, et tuèrent ceux qui voulaient résister. Ils poursuivirent ainsi les fuyards jusqu’au Danube dans lequel plusieurs se précipitèrent et s’y noyèrent. Parmi les chefs chrétiens ils firent prisonniers le duc de Flandre, et de Bourgogne et d’autres Français, ainsi que de très illustres barons, que Bajazet envoya à Brousse, où il les fit renfermer. Il les rendit ensuite, après avoir reçu beaucoup d’argent et pris pour caution le prince de Metelin, fils de Francisco Gateluzzo. »


    J’espérais que la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, à Bruxelles, m’offrirait quelques renseignemens de plus, mais toutes mes recherches ont été inutiles. Un instant, sur la foi du titre, je crus avoir trouvé ce que je désirais, mais la lecture du manuscrit me désappointa promptement ; ce manuscrit, coté 559d, a pour titre :

    « Une Espistre lamentable et consolatoire sur le fait de la desconfiture lacrimable du noble et vaillant roy de Honguerie par les Turcs, devant la ville de Nicopoli et l’empire des Boulguerie, adreçant à très puissant, vaillant et très sage prince royal, Philippe de France, duc de Bourgogne, etc., par un vieil solitaire des Célestins de Paris. »

    Ce sont des consolations religieuses sur cette défaite. Voici le seul fait qui s’y trouve :

    « De la desconfiture en gros du roy de Honguerie, de son host, et des causes pour quoi il a été desconffis.

    « Par la relacion de ceulx qui se trouvèrent à la journée lacrimable, le roy de Honguerie avoit en son host royal cent mil combatans, et Baxet n’en avoit guères moins. Les combatans du roy de Honguerie, par la dicte relacion, estoient de quatre catholiques et de cinq scismatiques, c’est assavoir de catholiques : les Hongres, les François, les Alemans, les Anglois et aucuns Ytaliens. Les scismatiques estoient : les, Bosniens, c’est du royaume de Bosne, et ceulx de Servie, d’Albaquie (Valachie), de Rasse et de Bulguerie. »

    L’auteur conclut que la présence des schismatiques ne pouvait manquer d’amener la défaite des catholiques alliés avec eux.

    Le but qu’il annonce dans cet ouvrage est de rendre les Chrétiens pieux pour leur faire obtenir la victoire, et il leur trace toutes les vertus qui leur sont nécessaires.

    Il ne se nomme dans aucun endroit de ce livre.


    * Traduction de Il Derim, surnom de Bajazet.

    C’est le nom que Michel Ducas donne à Jean de Nevers, fils du duc de Bourgogne.

  1. Je lis dans l’histoire de Chypre (t. ii, p. 19, ch. i) que Sigismond, roi de Hongrie, et Philibert de Naillac, grand maître de Rhodes, qui s’était réuni aux Français,