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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/292

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

il ouït à son oncle mettre en termes tels propos ; et toutefois, comme jeune qu’il fût, en lui dissimulant, il en répondit sagement ; et dit, pour complaire à son oncle et départir de là, qu’il n’étoit pas conseillé de accepter sitôt tels promesses, et que la matière étoit trop grande et qu’il en auroit avis. Donc lui dit le duc de Glocestre, quand il vit la manière de son cousin, qu’il tenist celle parole en secret. Il répondit que si feroit-il. Et se départit ledit comte de son oncle au plus tôt qu’il put et s’éloigna, car il s’en alla en la marche d’Irlande sur son héritage, ni oncques puis ne voult entendre à lettre ni traité que son oncle lui envoyât ; et se excusoit bien et sagement ; ni oncques de chose que on lui eût dit ni fait requête il ne se voult découvrir, car bien véoit et sentoit que la conclusion n’en seroit pas bonne.

Le duc de Glocestre quéroit voies et chemins de toutes parts, comme il pût mettre et bouter un grand trouble en Angleterre et émouvoir les Londriens encontre le roi. Et avint que, en celle propre année que les trèves furent données, jurées et scellées à durer trente ans entre France et Angleterre, le roi revenu en Angleterre et la jeune roine sa femme, le duc de Glocestre informa les Londriens, et leur bouta en l’oreille et dit : « Faites une requête au roi qui sera toute raisonnable, au cas qu’il a paix à ses ennemis et qu’il n’a point de guerre, que vous soyez quittes de toutes subsides et aides données et accordées depuis vingt ans, car elles ne furent données tant seulement, fors la guerre durant, pour aider à payer les gens d’armes et archers qui maintiendroient la guerre ; car entre vous marchands, vous êtes trop malement grevés et oppressés à payer de cent florins treize, et si retournent tous ces profits en vuyseuses, en danses et fêtes, en boire et en manger ; et toutefois vous les payez et en êtes de tant travaillés. Et dites que vous voulez que le royaume d’Angleterre soit mené et gouverné aux coutumes anciennes. Et quand il besognera au roi et au royaume, pour l’honneur du pays défendre et garder, vous ne vous doyez tailler bien et grandement, et tant qu’il devra suffire au roi et à son conseil. » Donc il avint que, par l’information que le duc de Glocestre fit aux Londriens, les Londriens et les consaux de plusieurs cités et bonnes villes d’Angleterre se cueillirent et mirent ensemble, et vinrent un jour à Eltem à sept milles de Londres, où le roi étoit ; et firent requête au roi de toutes ces choses dessus dites ; et vouloient que sans délai elles fussent mises jus et abattues. À celle requête faire étoient tant seulement les deux oncles du roi, les ducs de Lancastre et d’Yorch. Si chargea le roi le duc de Lancastre à répondre de celle matière aux Londriens et dit : « Beaux seigneurs, vous vous retrairez chacun en son lieu, et dedans un mois au plus tard vous retournerez à Londres au palais de Wesmoustier. La sera le roi et aura son conseil, et des nobles et prélats de son pays, présens lesquels, ces requêtes que vous demandez à ôter furent données et accordées. Et tout ce qu’il trouvera en conseil pour le meilleur à faire, sera fait si à point et par telle manière que bien vous devra suffire. »

Celle réponse contenta assez les aucuns et non pas tous, car en la compagnie il y en avoit des rebelles et tous enclins à l’opinion du duc de Glocestre. Si vouloient que plus brièvement et autrement ils fussent répondus. Mais le duc de Lancastre et le duc d’Yorch par douces paroles les apaisèrent. Et se départirent tous, et retrairent chacun en leurs lieux. Néanmoins pour ce ne demeura pas la matière à poursuivre. Et le mois venu, ils furent tous au palais de Wesmoustier ; et là eut les prélats et les nobles de son conseil ; et y fut présent le duc de Glocestre qui s’inclinoit à l’opinion des demandans. Mais à la réponse faire il ne démontra pas tout ce que son cœur pensoit ; ainçois s’en sçut bien dissimuler, à la fin que le roi et ses deux frères et le conseil du roi, dont par raison il devoit être, ne s’en aperçussent. Et répondit encore le duc de Lancastre pour le roi ; et adressa sa parole sur les Londriens, car ils faisoient principalement la requête et dit :

« Entre vous, hommes de Londres, il plaît à monseigneur que je vous réponde déterminément de votre requête, et je vous en répondrai par le commandement de lui et de son conseil, et l’accord et volonté des prélats et nobles de son royaume. Vous savez comment, pour eschever plus grands maux et pour obvier à l’encontre de tels maléfices, regardé fut généralement et accordé de vous et de tous les consaulx, cités et bonnes villes d’Angleterre, que sur l’état de la marchandise une taille seroit assise en la forme