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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

faire conspiration contre lui et de émouvoir le royaume. Si en parloient souvent ensemble, cil et son frère de Hollande.

En ce temps avoit envoyé en Angleterre le roi de France le comte de Saint-Pol, pour voir le roi et sa jeune fille, roine d’Angleterre, et pour savoir de leur état, et nourrir tout amour ; car les trèves étoient données par telle manière et condition que, c’étoit l’intention des deux rois et de ceux de leur plus privé conseil, que paix se nourriroit et seroit entre France et Angleterre malgré tous les malveillans qui le contraire y voudroient. Et quand le comte de Saint-Pol fut venu en Angleterre, le roi et le comte de Hostidonne lui firent très bonne chère, tant pour le roi de France, qui là l’envoyoit, que pour ce que il avoit eu à femme leur sœur. Pour ces jours n’étoient point de-lez le roi, quand le comte de Saint-Pol vint là, le duc de Lancastre ni le duc d’Yorch ; et se commençoient à dissimuler, car ils sentoient et véoient que murmutations se commençoient à nourrir et élever en Angleterre en plusieurs lieux sur l’état du roi ; et que les choses se tailloient et ordonnoient à aller mal. Si ne vouloient point être demandés du roi ni du peuple d’Angleterre, et tout venoit du duc de Glocestre et de ses complices.

Le roi d’Angleterre n’oublia rien à dire et remontrer au comte de Saint-Pol, tant de l’état d’Angleterre que de son oncle de Glocestre que il trouvoit dur, rebelle et merveilleux. Le comte de Saint-Pol s’émerveilla de plusieurs paroles que le roi lui dit, et répondit qu’elles ne faisoient pas à souffrir ni soutenir : « Car, monseigneur, dit-il, si vous le laissez convenir, il vous détruira. On dit bien en France que il ne tend à autre chose, fors que ces trèves soient rompues et la guerre renouvelée entre France et Angleterre ; et petit à petit il attraira les cœurs de plusieurs povres bacheliers de ce royaume qui désirent plus la guerre que la paix ; ni les vaillans hommes, si le pays s’émeut et que gens d’armes et archers se allient ensemble, ne seroient point ouïs ni crus, car raison, droiture et justice n’ont point de lieu ni audience où mauvaiseté règne. Si y pourvoyez avant tôt que tard. Il vaut mieux que vous teniez en danger que on vous y tienne. » Ces paroles du comte de Saint-Pol donnèrent le roi moult à penser, et lui entrèrent au cœur si acertes que depuis, quand le comte de Saint Pol fut retourné en France, il les remontra à son frère le comte de Hostidonne, lequel lut dit : « Monseigneur, beau frère de Saint-Pol vous a remontré à la lettre la pure vérité. Si ayez sur ce avis et ordonnance. »

Je fus informé que, environ un mois après que le comte de Saint-Pol fut issu d’Angleterre et retourné en France, fame et renommée coururent en Angleterre moult périlleuse sur le roi ; et fut un général esclandre que le comte de Saint-Pol étoit venu en Angleterre pour traiter devers le roi comment les François pourroient r’avoir Calais. On ne pouvoit de plus grand trouble émouvoir le peuple d’Angleterre que parler de celle matière. Et tant que les Londriens en parlèrent au duc de Glocestre ; et en furent jusques à Plaissy. Le duc ne les apaisa pas ni anéantit les paroles, mais les éleva et les exaulsa du plus qu’il put, voire en disant ainsi : « Il n’y auroit que faire. Les François voudroient bien qu’il leur eût ôté toutes les filles du roi de France et ils eussent Calais à leur volonté. » De celle réponse furent les Londriens tous mérencolieux ; et dirent qu’ils en parleroient au roi et lui remontreroient bellement comment le pays en étoit réveillé : « Voire ! dit le duc de Glocestre, remontrez lui tout acertes et par bonne manière, et ne faites doute. Et entendez bien quelle chose il vous dira et répondra ; si me le saurez à dire quand je parlerai à vous ; et sur la réponse, je vous conseillerai. Il n’y auroit que faire que aucuns mauvais traités se feroient, car voilà le comte Maréchal qui est capitaine et gardien de Calais et lequel a été en France jà par deux fois et séjourné à Paris, et fait et procuré plus que nul autre tous les traités du mariage du roi et de la fille du roi de France ; et François sont moult subtils et savent trop bien au long regarder une chose et poursuivre la matière petit à petit ; et promettre et donner largement tant qu’ils viennent à leur entente. »

Sur la parole du duc de Glocestre se fondèrent les Londriens, et vinrent un jour à Eltem parler au roi. Pour celle heure y étoient ses deux frères, le comte de Kent, les comtes de Hostidonne et de Salsebry, l’archevêque de Cantorbie et l’archevêque de Duvelin son confesseur, messire Thomas de Persy, messire Guillaume de l’Île, messire Richard Credon, messire Jean