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LIVRE IV.

Bouloufre et plusieurs autres tous chevaliers de sa chambre. Si remontrèrent au roi les Londriens moult sagement leur entente, et ce pourquoi ils étoient là venus, non mie par nulle hautesse ni dure manière, fors que par douce et amiable voie ; et dirent ainsi en leur parole ; que fame et renommée en couroit généralement par tout le royaume d’Angleterre.

Le roi fut moult émerveillé de ces nouvelles, et moult de près en son cœur lui touchèrent, mais moult sagement pour le présent il s’en sçut dissimuler et apaiser les Londriens ; et dit que de tout ce qu’ils avoient dit et parlé il n’étoit rien. Voirement le comte de Saint-Pol étoit là venu jouer et ébatre et le roi voir ; mais le roi de France, en toute bonne amour lui avoit envoyé pour voir sa fille la jeune roine, ni autre marchandise ni traité ils n’avoient eu entre eux deux, si Dieu lui aidât, ni par la foi qu’il devoit à la couronne d’Angleterre. Et trop s’émerveilloit dont tels paroles pouvoient naître ni venir. Le comte de Salsebry, après ce que le roi eut parlé, parla et dit : « Bonnes gens de Londres, retrayez-vous en vos hôtels, et soyez tous assurés que le roi et son conseil ne veulent que tout honneur et profit au royaume d’Angleterre. Et ceux qui premièrement ont mis hors telles nouvelles sont mal conseillés, et montrent qu’ils verroient volontiers une grande tribulation en Angleterre, et le peuple élever et émouvoir contre le roi, la quelle chose espécialement vous devez moult craindre qu’il n’avienne. Car jà par la rébellion des mauvais, qui puis en furent corrigés, en fûtes-vous en péril et en aventure d’être tous perdus et détruits ; car là où peuple mauvais seigneurit, justice ni raison n’ont point de lieu. »

Celle parole adoucit grandement les Londriens ; et se contentèrent assez du roi et de son conseil et de sa réponse, et prirent congé, et se départirent, et retournèrent arrière en la cité de Londres ; et le roi demeura, et se tint à Eltam tout pensif et mérencolieux des paroles qu’il avoit ouï ; et retint de-lez lui ses deux frères et ses plus prochains amis ès quels il avoit le plus de fiance. Et ne se osoit bonnement assurer entre ses oncles ; et véoit qu’ils l’éloignoient et se tenoient en leurs manoirs. Si se commença à douter d’eux, et trop plus du duc de Glocestre que du duc de Lancastre ni du duc d’Yorch, car ces deux il les avoit assez à ses volontés, et le duc de Glocestre non ; et se faisoit le roi garder tous les jours et toutes les nuits à mille archers.

Il avint ainsi que le roi d’Angleterre fut informé, et lui fut dit pour vérité, que le duc de Glocestre son oncle, et le comte d’Arondel, proposoient et avoient jeté leur avis que, de fait et à puissance de gens, ils le viendroient quérir et le prendroient où qu’il fût en Angleterre, et la jeune roine sa femme, et les amèneroient en un chastel, et là seroient mis et enclos courtoisement sur bonnes gardes ; et leur tiendroit-on leur état bien et largement pour boire et manger, et du surplus, ce qui nécessaire et appartenant leur seroit ; et seroient mis quatre maimbours en Angleterre pour gouverner le royaume à l’entente de ces quatre, desquels le duc de Lancastre et le duc d’Yorch seroient les deux premiers pour gouverner toute la marche du North, mouvant de la Tamise jusques à la rivière du Hombre et du Thin et jusques à la rivière de Tay qui court devant la cité de Bervich, en comprenant toutes les terres et seigneuries de Northonbrelande et toute la bande d’Escosse ; le duc de Glocestre auroit le gouvernement de Londres et des Londriens et de toute Excesses, en comprenant toute la bande de la mer et jusques là où la rivière de Hombre entre en mer, et tous les ports et hâvres en dessous de Londres jusques à Hantonne, et la bande de Cornouailles ; le comte d’Arondel de rechef auroit le gouvernement des terres mouvants de Londres entre Sussexes en la comté de Kent et d’Arondel, de Suré[1], de Devensière[2], de Barquesière[3] et de toutes les seigneuries entre la rivière de la Tamise, jusques à Bristol, et la rivière de Saverne qui départ le royaume d’Angleterre et la contrée de Galles où moult sont de grand’seigneuries. Et tiendroient et feroient justice et raison à tout homme et à toute femme[4]. Mais c’étoit leur intention que on trouveroit voie raisonnable comment la

  1. Surry.
  2. Devonshire.
  3. Berkshire.
  4. On ne trouve aucune trace de ce projet, nt dans les Placita parliamentaria, ni dans l’interrogatoire du duc de Glocester. Il paraît que le principal reproche fait au duc de Glocester était sa conduite avec tous ceux qui voulaient donner au roi des conseils différens des siens. Le duc de Glocester avait été particulièrement irrité de la remise qu’on venait de faire de Brest aux Français. Hol-