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LIVRE IV.

et mon oncle d’Yorch sans faute, et de une requête qu’ils me viennent faire j’en ordonnerai par votre conseil ; et dites à votre maître d’hôtel que demain vos gens vous suivent et viennent à Londres et que droit là ils vous trouveront. »

Le duc, qui nul mal n’y pensoit, lui accorda légèrement. Tantôt le roi eut soupé et leva sus. Tous furent prêts, le roi prit congé à la duchesse et à ses enfans et monta à cheval ; aussi fit le duc qui ne partit de Plaissy que lui septième de ses gens, quatre écuyers et quatre varlets ; et prirent le chemin de Bondelay pour avoir plus plain chemin et pour eschever la ville de Brehoude[1] et autres, et le grand chemin de Londres. Et chevauchèrent fort ; car le roi feignoit venir à Londres. Et si devisoit sur les chemins le roi à son oncle et son oncle à lui. Et vinrent tant en chevauchant qu’ils approchèrent de Stadeforde[2] et la rivière de la Tamise. Là, sur un certain pas, étoit en embûche le comte Maréchal. Quand le roi dut cheoir sur celle embûche il se départit de son oncle, et chevaucha plus fort que devant et mit son oncle derrière. Et evvous le comte Maréchal atout une quantité d’hommes et de chevaux, et saillit devant au duc de Glocestre et dit : « Je mets la main à vous de par le roi. » Le duc fut tout éperdu et vit bien qu’il étoit trahi, et commença à crier à haute voix après le roi ; je ne sais si le roi l’ouït ou non, mais point ne retourna ; et chevaucha toujours moult fort devant lui, et ses gens le suivoient[3]. Nous nous souffrirons un petit à parler de celle manière et assez tôt y retournerons.

CHAPITRE LVIII.

De la manière de la rédemption du comte de Nevers et ses complices et comment elle fut trouvée.


Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire, comment messire Jean de Chastel-Morant et messire Jacques de Hally furent envoyés en Turquie devers l’Amorath-Baquin de par le roi de France et le duc de Bourgogne, et quelle chose ils exploitèrent. Quand ils furent retournés en France, ils furent très volontiers vus du roi et du duc de Bourgogne et de la duchesse sa femme, pour tant qu’ils rapportoient certaines nouvelles du comte de Nevers et de ses seigneurs qui avecques lui étoient. Et dirent bien les dessus dits chevaliers au roi et aux seigneurs que ils espéroient que l’Amorath-Baquin entendroit assez légèrement à traiter pour avoir finance et rançon de ses prisonniers ; car, ainsi que on lui avoit dit et remontré, les plus espéciaux de son conseil, si les seigneurs de France qui ses prisonniers étoient, mouroient en prison, laquelle chose étoit bien taillée d’avenir, car ils étoient hors de leur air et nourriture, on n’en auroit rien, et par eux délivrer on pouvoit avoir et extraire grand finance.

Sur ces paroles et remontrances s’ordonnèrent et avisèrent le roi, le duc de Bourgogne et la duchesse sa femme qui ne entendoient à autre chose fors aviser et subtiler nuit et jour comment on pourroit si bien exploiter ni par quel traité elle pût ravoir son fils et héritier. Et disoit bien à la fois que la journée de la bataille des Turcs contre les Chrétiens devant Nicopoli avoit été trop dure et que trop lui avoit coûté, car elle y avoit eu morts trois siens frères chevaliers, vaillans hommes que moult aimoit, quoiqu’ils fussent bâtards, le premier le Hasle de Flandre, messire Louis de Frise, et messire Jean d’Ipre ; encore y en avoit un jeune et tout le mains-né, mais cil étoit demeuré. Au voir la duchesse de Bourgogne comtesse de Flandre avoit assez à penser ; et tant pensa sur ses besognes, parmi le moyen de son mari et de son conseil, qu’elle fut apaisée de ses ennuis et tribulations ; mais ce ne fut pas si très tôt, car la chose gissoit bien en tel parti qu’il les convenoit démener par sens et avis petit à petit.

En ce temps que je recorde trépassa de ce siècle en Burse en Turquie ce gentil et vaillant che-

  1. Brentwood.
  2. Stafford.
  3. Hollinshed raconte à peu près de la même manière la conduite hypocrite du roi ; seulement il fait arrêter le duc de Glocester aussitôt qu’il eut mis les pieds hors de son château. Le moine d’Evesham le raconte aussi d’une autre manière. « Assumptis secum, dit-il, Johanne Bush et aliis armatis Rex venit apud Plaisy, ubi personaliter arrestavit Thomam ducem Glaucestriæ, in noctis silentio, infirmitate detentum et in lecto quiescentem, non obstantibus doloribus, lacrymis, protestationibus quas ducissa conjux et tota familia dicti ducis Regi ostendebat. » Ce récit me paraît le moins probable, attendu le peu de courage de Richard II.