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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/329

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LIVRE IV.

nous en faut passer aussi. » Le maire de Londres qui pour le temps étoit, et grand nombre des plus notables bourgeois de Londres firent comvoi et compagnie au département au comte Derby ; et chevauchèrent les plusieurs avecques lui jusques à Dardefort et outre ; et les aucuns jusques à Douvres ; et tant qu’il fut entré au vaissel qui l’amena à Calais et tout son état. Et puis ceux qui acconvoyé l’avoient retournèrent en leurs lieux.

Le comte Derby avoit, avant ce qu’il vînt à Calais, envoyé un sien chevalier et héraut devers le roi de France et son frère le duc d’Orléans, et leurs oncles les ducs de Berry, de Bourgogne et de Bourbon, pour savoir, s’il vouloit là traire à Paris, et tenir son état, pour bien payer partout ce que ses gens prendroient, s’il y seroit reçu. À celle requête et prière s’inclinèrent légèrement et volontiers le roi de France et ses oncles ; et montrèrent par semblant que de sa venue ils auroient très grand’joie ; et leur déplaisoit grandement, ainsi qu’ils dirent au dit chevalier, des ennuis du connétable que pour le présent il avoit à porter. Et retournèrent si à point ceux qui en message avoient été, que ils trouvèrent le comte Derby à Calais. Avecques eux y envoya le roi messire Charles de Hangest pour faire ouvrir cités et bonnes villes contre les Anglois tout leur chemin venant à Paris. Si se départit le dit comte Derby en bon arroi, ainsi que à son état appartenoit, et prit le chemin d’Amiens. Et par toutes les villes de France ils étoient liement recueillis.

CHAPITRE LXVI.

Comment messire Guillaume, comte d’Ostrevant, envoya devers le comte Derby ses messages, et comment il y fut reçu.


Sitôt que messire Guillaume de Hainaut, comte d’Ostrevant, qui se tenoit au Quesnoy, put savoir ni sentir que le comte Derby, son cousin, avoit passé la mer et venu à Calais, il ordonna messire Ansel de Trassignies et messire Fier-à-Bras de Vertaing, ses chevaliers, à chevaucher vers Calais et aller quérir le dit comte et lui prier qu’il se voulsist venir ébattre en Hainaut et là demourer, et il lui feroit très grand plaisir, et aussi à la comtesse d’Ostrevant sa femme. Les deux chevaliers au commandement du comte se départirent du Quesnoy ; et chevauchèrent vers Cambray et vers Bapeaumes, car nouvelles vinrent que le comte Derby étoit parti de Calais et avoit pris le chemin de la cité d’Amiens et de Paris. Si s’avisèrent les deux chevaliers dessus nommés sur ce, et chevauchèrent au devant ; et firent tant par leur exploit qu’ils trouvèrent le comte Derby et sa route. Si parlèrent à lui et firent leur message bien et à point, ainsi que chargés étoient à faire, et tant que le comte Derby les remercia, et aussi son cousin de Hainaut qui là les envoyoit. Et s’excusa en disant que son chemin pour le présent s’ordonnoit d’aller en France devers le roi et ses cousins de France, mais pas ne renonçoit à l’amour et courtoisie que son cousin d’Ostrevant lui présentoit Ce message fait, les deux chevaliers prirent congé au dit comte et retournèrent arrière en Hainaut, et recordèrent au dit comte d’Ostrevant ce que vu et trouvé avoient ; et le comte Derby et sa route cheminèrent tant qu’ils approchèrent Paris. Quand les nouvelles vinrent au roi, au duc d’Orléans et à leurs oncles que le comte Derby venoit à Paris, si s’efforcèrent tous les seigneurs, et firent efforcer leurs gens de eux ordonner et mettre en état pour aller et issir hors de Paris à l’encontre du dit comte. Et furent les chambres de l’hôtel de Saint-Pol parées très richement. Et vinrent hors de Paris tous les seigneurs qui adonc y étoient ; et le roi demeura à son hôtel de Saint-Pol sur Seine. Et chevauchèrent le chemin de Saint-Denis. Et tout devant étoient les ducs de Berry et d’Orléans qui eurent le premier encontre ; puis les ducs de Bourgogne et de Bourbon, et messire Charles de la Breth ; et après plusieurs nobles prélats et chevaliers ! Et furent à l’encontrer les accointances de ces seigneurs, du comte Derby et des seigneurs de France, moult belles a voir ; et entrèrent moult ordonnément dedans Paris et à grand’joie. Mais là avint un meschef, par dure aventure et fortune, d’un escuyer du duc d’Orléans qui se nommoit Boniface, homme de grand bien, de toute honneur et prudence, et de la nation de Lombardie, et ce que de lui avint, je le vous dirai. Il étoit monté sur un haut coursier lequel n’étoit pas bien duit et bien maniéré, et se dressa tout droit sur ses pieds devant. L’escuyer le cuida maistrier et le tira fort ; le cheval se laissa cheoir par derrière. Au cheoir qu’il fit, Boniface reversa de sa