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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tête contre les carreaux de la chaussée, et eut toute la tête épautrée. Ainsi fina Boniface ; dont il eut grand plainte des seigneurs, et par espécial du duc d’Orléans, car moult l’aimoit ; et aussi fit le sire de Coucy en son temps ; et l’avoit mis hors de Lombardie et amené en France.

Tant exploitèrent ces seigneurs qu’ils vinrent à l’hôtel de Saint-Pol sur Seine, là où le roi les attendoit, qui les recueillit doucement, et par espécial le comte Derby, son cousin, pour quelle amour[1] toute celle assemblée étoit faite. Le comte Derby, comme sage et prudent et qui des honneurs et révérences de ce monde savoit grandement, s’acointa du roi par bonne manière, et tellement qu’il fut bien en grâce du dit roi ; et par grand amour le roi donna au dit comte Derby sa devise à porter, lequel comte la prit joyeusement et l’en remercia. Toutes les paroles qui furent là entre eux, je ne puis pas savoir, mais tout fut en bien. À celle heure on prit vin et épices ; et puis prit congé le comte au roi ; puis alla devers la roine, laquelle étoit d’autre part en ses chambres en cel hôtel même ; et là fut une espace, et conjouit la dite roine moult grandement le comte Derby. Et après toutes ces choses faites, le comte prit congé tant que pour l’heure à la roine de France et vint en la place, et monta, et ses gens et chevaliers, à cheval pour venir aux hôtels ; et fut le dit comte Derby, acconvoyé de tous ces seigneurs de France et mis à son hôtel, où il demeura ce soir à souper avecques ses gens. Ainsi se portèrent ces besognes pour lors. Et le tenoient les seigneurs en paroles et ébattemens plusieurs, afin que moins lui ennuyât, pour ce qu’il étoit hors de sa nation, ainsi que vous avez ouï, dont il déplaisoit aux dits seigneurs de France qui grandement le festoyèrent. Nous nous souffrirons un peu à parler du dit comte Derby et parlerons de l’ordonnance de l’église et des papes, de Bénédict qui se tenoit en Avignon et de Boniface qui se tenoit a Rome.

CHAPITRE LXVII.

Comment grand’assemblée se fit en la ville de Reims de l’empereur d’Allemagne et du roi de France pour mettre union en sainte église.


Vous savez comment le roi d’Allemagne, le roi de France et les seigneurs de l’Empire et leurs consaux furent en la cité de Reims et eurent là entre eux plusieurs consaux secrets et traités, et l’intention d’eux que pour remettre l’église en une unité, car à tenir la voie que ceux de l’église tenoient, l’erreur étoit trop grande ; et avez ouï dire et recorder comment maître Pierre d’Ailly, évêque de Cambray, fut envoyé en légation à Rome pour parler à ce pape Boniface. Tant exploita le dit évêque qu’il vint à Fondes[2] et là trouva ce pape Boniface ; et montra ses lettres de créance de par le roi de France et le roi d’Allemagne. Lequel pape les tint à bonnes, et les reçut assez doucement et bénignement avec le dit évêque ; et jà cuidoit savoir, ou en partie, pourquoi il étoit là venu. L’évêque de Cambray, comme messager au roi de France et au roi d’Allemagne, remontra et proposa ce pourquoi il étoit là venu. Quand le dit Boniface l’eut entendu de sa parole tout au long, il répondit et dit ainsi : que la réponse n’appartenoit pas seulement à faire à lui, mais à tous ses frères cardinaux qui pourvu l’avoient de la dignité de papalité ; et quand il en auroit parlé à eux, par délibération de conseil, il en répondroit si à point que de toutes choses on se contenteroit. Celle réponse pour l’heure suffisit assez au légat évêque de Cambray ; et dîna ce jour au palais du pape, et aucuns cardinaux en sa compagnie, et puis se départit de Fondes et s’en vint à Rome. Le pape Boniface fit assez tôt après une convocation et congrégation de tous ses frères les cardinaux, car de Fondies il étoit venu à Rome et trait au palais de-lez l’église Saint-Pierre. En ce consistoire ne furent fors le pape et les cardinaux ; et là montra le dit pape à ses frères toutes les paroles et requêtes que l’évêque de Cambray, qui là étoit envoyé en légation de par le roi de France et le roi d’Allemagne, avoit fait ; et en demandoit avoir conseil comment il en pourroit répondre. Là eut mainte parole retournée et mainte mise avant, car dur sembloit et contraire aux cardinaux de défaire ce que fait en avoient, et à trop grand vitupère leur tourneroit. Et fut ainsi ce pape conseillé de répondre et de dire : « Père saint, pour donner au roi de France et à tous les adhérens et alliés à son opinion espérance d’obéir, vous vous dissimulerez de ce fait ci, et direz que vous obéirez volon-

  1. Pour l’amour duquel.
  2. Fondi.