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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/336

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ceux dé sa secte[1]. Si vouloit être le dit roi de Honguerie aussi au devant de lui et combattre par meilleure ordonnance qu’il ne fit autrefois. Le comte Derby, qui se tenoit à Paris à l’hôtel de Clisson, moult près du Temple, y fût volontiers allé pour moins coûter au roi de France ; car toutes les semaines il avoit, en deniers appareillés, pour payer ses menus frais, cinq cents couronnes d’or ; et les recevoient ses gens au nom de lui. Et à celle délivrance n’avoit point de faute. Si se sentoit moult grandement tenu le comte Derby au roi de France pour celle grâce que on lui faisoit. Et le reconnoissoit grandement bien. Et quand les nouvelles vinrent du roi de Honguerie en France, il y entendit moult volontiers ; et lui fut avis que c’étoit un voyage honorable pour lui, pour passer la saison légèrement et oublier le temps. Et en parla aux plus espéciaux de son conseil. Bien lui conseillèrent ses gens d’aller au dit voyage, mais qu’il vînt à plaisance au duc de Lancastre son père. Et envoya en instance de ce le comte Derby en Angleterre le plus prochain de ses chevaliers, à savoir qu’il en diroit et conseilleroit. Quand le chevalier, qui se nommoit Dymoch, fut venu en Angleterre, il trouva le duc de Lancastre en un chastel à vingt milles de Londres, lequel chastel on appeloit Harfort. Si lui recorda de l’état de son fils. Quand le duc de Lancastre entendit parler le chevalier de créance de l’état de son fils et de la bonne volonté qu’il avoit d’aller en Honguerie, pour employer sa saison et passer les termes et le temps qu’il avoit de non retourner en Angleterre, si fut moult content de toutes ces choses, et dit au chevalier : « Vous soyez le bien-venu ; et vos paroles et les lettres de mon fils requièrent bien avoir conseil. Vous reposerez ici de-lez nous, et entre-tant nous nous aviserons ; et aussi vous êtes venu pour entendre à nos fils et filles les enfans de notre fils, car de tout ce vous faut-il rapporter nouvelles par delà. » — « Monseigneur, répondit le chevalier, vous dites vérité. » Ainsi demeura messire Dymoch en Angleterre par l’ordonnance du dit duc de Lancastre.

Or eut le roi de France titre et cause d’escripre au roi d’Allemagne et à son conseil comment il tenoit Bénédict, qui s’étoit nommé un temps pape, à sa volonté, et tous ses cardinaux aussi, ainsi qu’il fit ; et y envoya ses espéciaux messages, à savoir le patriarche de Jérusalem, messire Charles de Hangiers et encore de ses chevaliers. Et trouvèrent le roi d’Allemagne à Strasbourg ; et firent leur message bien et à point, tant que il et ses consaux s’en contentèrent ; et dirent que sur ce ils exploiteroient, mais ils verroient volontiers que le roi d’Angleterre se voulsist déterminer, et il s’en étoit fait fort qu’il lui feroit faire. Ce légat et commis de par le roi de France sur celle réponse retourna en France devers le roi, et l’informa, lui et son conseil, de tout ce que vous avez ouï. Le roi de France, pour abréger et amoyenner les besognes, et pour mettre en l’état qu’il désiroit à voir, envoya de rechef en Angleterre grands messages devers le roi Richard son fils, lesquels remontrèrent bien au roi ce pourquoi ils furent là envoyés ; c’est à savoir les ordonnances et affaires dessus dites. Le roi d’Angleterre y entendit volontiers, mais il n’avoit pas les prélats d’Angleterre et le clergé et les hommes si bien à point à sa volonté pour eux faire déterminer comme le roi de France avoit. Et tout ce sçut-il bien dire et remontrer en confidence aux légaux et commissaires que le roi de France avoit là envoyés. Mais bien leur eut en convenant qu’il en feroit son devoir, ainsi qu’il fit.

Les commissaires, prélats et chevaliers envoyés en Angleterre de par le roi de France retournèrent arrière en France, et le roi Richard exploita sur les requêtes et ordonnances que son seigneur de père lui avoit féablement escript et signifié ; et fit un jour venir à Westmoustier en son palais dehors Londres tous les prélats et clergé d’Angleterre. Eux venus en sa présence, il leur fit remontrer moult ordonnément l’état et différend de l’Église, et comment le roi de France, par délibération de grand avis et conseil, lequel il avoit tout pourvu de l’université de Paris, et par autres clercs qui tous s’étoient adjoints à son opinion, s’étoit déterminé à être neutre. Et aussi étoient les rois d’Escosse, d’Espaigne, d’Arragon et de Navarre ; et aussi à celle

  1. Après la victoire de Nicopolis, Bajazet tourna toutes ses forces contre la Thrace, ferma aux Européens toute communication avec l’Asie, et força Manuel Paléologue à lui payer un tribut et à laisser élever une mosquée dans l’intérieur de Constantinople. Manuel Paléologue, dans sa détresse, avait en vain offert à Tamerlan de se rendre son vassal et de tenir son empire de lui.