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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/337

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LIVRE IV.

détermination se devoit ordonner toute Allemagne, Bohême et Italie. Si prioit le dit roi d’Angleterre que son pays aussi se voulsist ordonner à ce.

Quand les prélats et le clergé qui rien ne savoient pourquoi ils étoient mandés, entendirent ce, si furent tous émerveillés et ébahis ; et se tinrent les plusieurs tous cois, et les autres commencèrent à murmurer et dire : « Ce roi est tout françois. Il ne vise fors à nous déshonorer et détruire. Il ne l’aura pas ainsi. Nous veut-il mettre hors de notre créance ? Il pourra bien tant faire que mal lui en prendra. Or n’en ferons-nous rien, puisque le roi de France le propose. Ainsi tienne la neutralité en sa puissance, et nous tiendrons fermement notre créance en Angleterre ; et ne verrons jà homme qui nous en ôte, si ne nous est apparent par plus grand conseil que cil sur lequel il est fondé. »

Quand le roi d’Angleterre vit ainsi murmurer et différer son clergé, il leur fit demander par l’évêque de Londres, qui les paroles avoit remontré et proposé, quelle chose en étoit bonne à faire. Ils répondirent tous d’une suite, que la matière étoit si grande qu’elle demandoit bien à avoir conseil. » Sur cel état défina ce parlement ; et se départirent tous ceux du clergé là assemblés, et retournèrent en leurs hôtels en la cité de Londres. Et quand les Londriens sçurent la vérité pourquoi ils étoient là venus et la requête que le roi avoit faite, si furent moult émus et troublés sur le roi d’Angleterre, car ils étoient en Angleterre généralement si fort boutés en la crédence du pape de Rome que point ne s’en vouloient partir, et dirent : « Ce Richard de Bordeaux honnira tout, qui le laissera convenir. Il est de cœur si François qu’il ne le peut celer ; il accroît, mais il sera un de ces jours payé si étrangement qu’il ne pourra venir à temps à repentir ; et aussi ne feront ceux qui le conseillent. » Et demeurèrent les choses en cel état. Ni de toutes ces prédications pour tourner Angleterre à être neutre on ne fit compte ; et ne se contentoit pas le roi de France de son fils le roi d’Angleterre, pour tant que tantôt et de fait il ne faisoit déterminer son royaume à être neutre. Mais à vérité dire, le roi d’Angleterre n’y pouvoit pourvoir ; et aussi aucuns accidens lui vinrent sus soudainement sus son col, si grands et si horribles que des pareils ils n’en sont point ouïs les semblables en toute celle histoire, ni de nul roi chrétien, tant que l’histoire dure, excepté le noble roi Pierre de Luzignan, roi de Cypre et de Jérusalem, que son frère et les Cypriens meurtrirent[1].

CHAPITRE LXVIII.

De la réponse que le duc de Lancastre fit au chevalier envoyé de par son fils le comte Derby, et comment le duc de Lancastre mourut.


Quand messire Dymoch, lequel le comte Derby eut envoyé en Angleterre au duc de Lancastre son père, eut la réponse du dit duc, et visité toutes les terres du dit comte son maître, et vu ses enfans, quatre fils et deux filles, qui demeurés étoient en Angleterre, il prit congé et s’en retourna arrière en France. La réponse du duc de Lancastre fut telle : que point il ne conseilloit à son fils qu’il emprît ce voyage de Honguerie, mais quand il seroit tanné d’être en France, il s’en allât en Castille de-lez le roi son frère et sa sœur, et de là, s’il vouloit aller ébattre outre, voir sa sœur la roine de Portingal. Le comte Derby legit au long les lettres par deux fois que on lui avoit envoyées d’Angleterre et pensa sus moult longuement. Aussi messire Dymoch lui dit en grand’espécialité que médecins et chirurgiens lui avoient dit et confessé, que son père le duc de Lancastre menoit une maladie moult périlleuse, et que jà n’en istroit sans mort. Ces paroles et informations retardèrent grandement le comte Derby de nulle part voyager ; mais se tint tout coi à Paris à l’hôtel de Cliçon, lequel étoit tout ordonné pour lui et ses gens à la fois. Et moult souvent il alloit voir le roi et le duc d’Orléans et leurs oncles, et s’ébattre avecques eux ; et lui faisoient toute la meilleure compagnie qu’ils pouvoient ; et tant que grandement se tenoit tenu à lui, et disoit au roi de France : « Monseigneur, vous me faites tant d’honneur et de courtoisie, que je ne sais comment je le pourrai jamais desservir ; et moi retourné en Angleterre, madame la roine votre fille en vaudra grandement mieux. » — « Grands mercis ! beau cousin, » répondit le roi.

Or avint que, environ de Noël[2] ensuivant, le duc Jean de Lancastre qui vivoit en grands dé-

  1. Pierre, fils de ce même Hugues de Luzignan, sous lequel arriva le combat du Dragon et de Gozon.
  2. Le moine d’Evesham dit aussi : In natale Domini hujus