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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/338

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

plaisances, tant pour son fils que le roi avoit mis hors d’Angleterre à petite cause, que pour le povre et petit gouvernement qu’il véoit en son neveu le roi Richard ; et sembloit bien au dit duc, s’il persévéroit en cel état longuement, et on le laissât convenir, le royaume seroit perdu. Et mourut le dit duc de Lancastre et eut grand’plainte de ses amis. Le roi Richard d’Angleterre, à ce qu’il montra, n’en fit pas grand compte, mais l’eut tantôt passé.

Or regardèrent les nobles d’Angleterre, les aucuns et non pas tous, que le royaume affoiblissoit fort quand le duc de Lancastre étoit mort et le duc de Glocestre son frère, et le comte d’Arondel ; et étoit le comte Derby banni d’Angleterre, qui devoit être duc de Lancastre par droite hoirie et succession ; et disoient les aucuns : « Or véons que le roi fera. Il est heure qu’il vienne relever sa terre et qu’il soit duc de Lancastre. » Tels paroles furent dites et semées parmi le royaume d’Angleterre, en plusieurs lieux, et espécialement en la cité de Londres où le comte Derby étoit cent fois mieux aimé que le roi Richard. Néanmoins, pour chose que on en parlât ni murmurât, ni que le roi en ouït parler et ses consaux, rien il n’en fit ; mais du contraire il fut trop mal conseillé ; car s’il eût mandé le comte Derby tantôt que son père fut mort, et lui eût dit, lui venu et retourné en Angleterre : « Beau cousin, vous soyez le bienvenu ! vous êtes duc de Lancastre et le plus grand qui soit en Angleterre après nous ; nous voulons que vous vous teniez de-lez nous, et nous nous ordonnerons par vous et par votre conseil de tous points, et ne ferons chose que vous ne le véez et passez ; » il fût demeuré en son état et roi d’Angleterre, et n’eût point eu ni reçu le grand encombrier qu’il reçut, et lequel lui étoit si prochain, qu’il ne le pouvoit éloigner, ainsi que je vous recorderai assez prochainement en l’histoire.

Nouvelles vinrent en France de la mort du duc de Lancastre ; et en escripsit le roi Richard d’Angleterre, sur forme et manière de joie, à son grand seigneur le roi de France et non pas à son cousin le comte Derby ; mais le comte le sçut aussitôt ou plutôt que le roi de France, par ses hommes qu’il avoit en Angleterre. Si s’en vêtit de noir ; ce fut raison, et toutes ses gens. Et lui fit faire son obsèque moult grandement ; et y furent le roi de France, son frère, et tous ses oncles, et grand nombre des prélats et hauts barons de France, car le comte Derby étoit moult bien aimé de tous. Et le véoient les seigneurs volontiers. Et prenoient les aucuns grand déplaisir à son deuil, et disoient ainsi, que le roi d’Angleterre n’étoit pas bien conseillé quand il ne le rappeloit. Mais le dit roi n’en avoit nul talent ; avant en faisoit tout le contraire. Et envoya tantôt ses officiers en toutes les terres et tenures du duc de Lancastre et en fit lever et saisir les profits ; et dit ainsi : que tant que le comte Derby auroit accompli tous les termes qui baillés lui étoient encore, au mieux venir, il, ni les siens, ne recevroient rente ni revenue qu’il eût en Angleterre, et encore outre. Dont il étoit moult blâmé de ceux qui aimoient le comte Derby et ses enfans. Le roi donnoit et départoit aucuns héritages de la duché de Lancastre à ses chevaliers et à ceux qui les demandoient, pour laquelle chose moult de chevaliers en parloient et disoient : « Le roi d’Angleterre donne bien signe qu’il ne veut nul bien à son cousin le comte Derby, quand il ne le rappelle de-lez lui et souffre que il relève sa terre. Ce sera avecques ses enfans un membre bel et grand en Angleterre et bourdon[1] pour lui appuyer. Mais il fait tout le contraire. Il l’a jà chassé en sus de lui et le veut tenir en ce danger, et en plus grand encore, s’il se peut ; car jà attribue-t-il son héritage avecques le sien ; et y envoie ses gens et officiers exploiter plus avant que nul en héritage qui soit en Angleterre. Et si les manans se plaignent des injures que on leur fait, leur seigneur absent, ils n’en sont point ouïs ; et n’est nul qui droit leur en fasse ; et outre, ce sont petits signes d’amour et de bien qu’il veuille au comte Derby et à ses enfans, car l’héritage de Lancastre, qui leur vient par droite hoirie de par madame leur grande dame la duchesse Blanche, fille au duc Henry de Lancastre, et ce qui leur vient de par madame leur mère qui fille fut au comte de Herfort et de

    anni (1398) Joannes de Gant, dux Lancastriæ, apud castellum de Leicestre diem suum clausit extremum et apud Sanctum-Paulum Londoniis honorificè sepelitur, filio suo Henrico, medio tempore, existente in exilio in partibus transmarinis.

  1. Bâton de pèlerin.