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LIVRE IV.

La dame de Courcy qui douta ces menaces, et qui sentoit les Anglois crueux et hauts, répondit et dit : « De par Dieu je ferai tout ce que on voudra. » Elle fut tantôt appareillée. On lui pourvéit chevaux et haquenées pour elle et pour les gens. Tous et toutes se départirent, François et Françoises ; oncques n’y demoura homme ni femme ; et se mirent au chemin et furent aconvoyés jusques à Douvres, et là bien payés et largement, chacun et chacune selon son état ; et de la première marée qui vint ils entrèrent en une nef, et eurent bon vent, et tirèrent pour venir à Boulogne.

CHAPITRE LXXVI.

De l’état de la roine Isabel d’Angleterre, et comment on lui bailla nouvelles gens et comment le roi fut mit dedans la grosse tour de Londres.


Tant que à parler de l’état de la jeune roine Isabel d’Angleterre, il fut si brisé que on n’y laissa homme ni femme ni enfant de-lez li. Tous lui furent mis hors, ceux et celles de la nation de France ; et encore moult de la nation d’Angleterre qui étoient de la faveur du roi Richard. Et fut son état renouvelé de dames et de damoiselles, de gens d’office et de varlets ; et étoient tous et toutes bien introduits que point ne parlassent du roi Richard, sur la vie, nequetant[1] l’un à l’autre.

Le duc de Lancastre et sa route se départirent de Cartesée et vinrent à Chienes[2] ; et de là, sur la nuit, ils amenèrent le roi Richard au chastel de Londres, et tous les chevaliers et hommes du roi, ceux lesquels ils y vouloient avoir. Quand ce vint au matin et les Londriens sçurent que le roi étoit au chastel de Londres, de tout ce furent-ils assez réjouis ; mais grand’murmuration monta entre eux de ce que secrètement et couvertement on l’avoit là amené ; et étoient moult courroucés toutes gens de ce que le duc de Lancastre ne l’avoit amené tout parmi Londres, non pas pour le conjouir et honorer, mais pour le vitupérer, tant l’avoient-ils accueilli en grand’haine ! Considérez que c’est de peuple quand il s’émeut et élève, et a puissance contre son seigneur, et par espécial en Angleterre ; là n’y a nul remède, car c’est le plus périlleux peuple commun qui soit au monde et le plus outrageux et orgueilleux. Et de tous ceux d’Angleterre les Londriens sont chefs. Et à voire dire, ils sont moult puissans de mise et de gens, car ils se trouvent bien du clos de Londres vingt-quatre mille hommes armés de pied en cap de toutes pièces, et bien trente mille archers. C’est grand’force, car ils sont durs, forts, hardis et hauts. Et tant plus voient de sang épandu tant plus sont-ils crueux et moins ébahis.

Or parlons du comte de Rostellant, fils au duc d’Yorch, et pour ces jours connétable d’Angleterre, qui demeuré étoit à Bristol, et le sire Despenser qui sa sœur avoit à femme de-lez lui, et leurs gens. Quand ils entendirent que le chastel de Flinth[3], où le roi Richard étoit enclos, s’étoit rendu et le roi pris, et toutes ses gens, et mené vers Londres, ils imaginèrent tantôt le fait ; et sentirent et connurent bien que les choses se porteroient mal pour le roi Richard ; et ne vouldrent là plus demourer. Et donnèrent congé à toutes gens d’armes que ils tenoient, fors à leurs familiers ; et se départirent de Bristol, et chevauchèrent, et vinrent à Heulée[4] en la marche de Galles, un très beau manoir qui est au seigneur Despenser ; et là se tinrent tant qu’ils ouïrent autres nouvelles. Le duc d’Yorch se tenoit en son chastel entre ses gens et ne s’entremettoit de chose qui avint en Angleterre ; ni ensoigné s’étoit du temps passé, ni ensoigner ne vouloit, mais prenoit le temps en gré et en patience, ainsi qu’il venoit. Courroucé étoit grandement en cœur de ce que les différends si grands étoient en Angleterre et entre ses nepveux et parens. Or parlons du roi Richard de Bordeaux.

Quand le duc de Lancastre eut mis et bouté dedans la tour de Londres son cousin le roi Richard, et tous ceux de son conseil que avoir y vouloit, et mis bonnes gardes sur eux, la première chose que le duc fit, ce fut que tantôt il envoya querre le comte de Warvich qui condamné étoit à user ses jours en l’île de Wisque et le délivra de tous points. Secondement, il envoya ses messages devers le comte de Northonbrelande et messire Henry de Percy, son fils, et leur manda qu’ils vinssent vers lui, ainsi qu’ils firent ; et après ils entendit très fort comment

  1. C’est-à-dire, pas même, ou ne fût-ce même que.
  2. Sheen, aujourd’hui Richmond.
  3. Lisez Conway-Castle.
  4. Johnes croit que ce château est Caer-Philly, dans le Glamorganshire.