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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/358

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

il pût être saisi de quatre Londriens qui étranglé avoient son oncle le duc de Glocestre au chastel de Calais ; et tant fit, procura et enquit que tous quatre il les eut ; et ne les eût pas rendus pour vingt mille nobles ; et les fit mettre en prison à part eux à Londres. Le duc de Lancastre et ses consaux, et les Londriens eurent conseil ensemble comment ils ordonneroient de Richard de Bordeaux, qui étoit mis dans la grosse tour où le roi Jean de France tint une fois son état, entretant que le roi Édouard chevauchoit au royaume de France. Regardé fut et avisé entre eux qu’il convenoit à ce roi Richard donner toutes ses joies, si dûment il en vouloit user, car trop grands nouvelles seroient en tous royaumes chrétiens de sa prise, car vingt-deux ans ils l’avoient tenu à roi, et puis ils le vouloient dégrader. Premièrement il regardèrent à son règne, et escripsirent tous les faits et les mirent par articles, et en trouvèrent vingt-huit ; et puis s’en vinrent au chastel que on dit la Tour, le duc de Lancastre en leur compagnie, et aucuns chevaliers et écuyers de son conseil. Quand ils furent venus jusques à là, ils entrèrent tous en la chambre où le roi Richard étoit, auquel en venant et entrant dans la chambre et en parlant à lui ils ne firent nulle révérence : et lui lisirent au long tous ses articles[1], auxquels il ne répondit en rien, car il vit bien et connut qu’ils étoient véritables, fors tant qu’il dit que, tout ce que fait avoit, étoit passé par son conseil. Donc lui fut demandé qu’il voulsist nommer ceux par lesquels il s’étoit le plus conseillé. Il les nomma, ainsi comme cil qui avoit espérance d’avoir délivrance de là, et aller quitte et passer pour ceux qui le plus conseillé l’avoient, ainsi que autrefois on l’avoit quitté, et que ceux par lequel conseil il avoit mésusé étoient demourés en la peine. Mais ce n’étoit pas l’intention des Londriens et de ceux qui accueilli l’avoient. Pour celle fois ils ne parlèrent plus avant, mais s’en retournèrent ; et s’en alla le duc de Lancastre à son hôtel, et laissa convenir le maire de Londres et les hommes de la loi, lesquels vinrent en la maison de la ville que on dit à Londres la Guihalle[2] ; et là sont faits et rendus les jugemens des cas qui appartiennent aux citoyens de Londres ; et encore moult de peuple s’y assemblèrent quand ils virent que les seigneurs de la ville et de la loi se trayoient là ; et pensoient bien que on feroit justice, ainsi que on fit ; je vous dirai par quelle forme.

Tout premièrement les faits contraires contre le roi et les articles qui lus avoient été devant lui en la tour furent là lus généralement et publiquement, et remontré par celui qui les legit que le roi n’en avoit nuls débattus ; mais bien avoit dit que, tout ce que consenti en avoit à faire, le principal conseil l’en avoient donné quatre chevaliers de son secret de sa chambre ; et par leurs consaux avoient été morts le duc de Glocestre, le comte d’Arondel et messire Thomas Corbet. Et avoient conseillé et enditté Richard de Bordeaux un long temps à faire tous ces faits, lesquels étoient irrémissibles et demandoient punition ; car par eux et par leurs consaux avoit été close la cour de droit et de justice du palais de Westmoustier et de toutes autres cours royales parmi Angleterre, dont moult de maléfices étoient mis sus ; et boutées routes et compagnies sur le pays qui déroboient les marchands et les laboureurs en leurs maisons. Pour lesquels cas le royaume d’Angleterre avoit été en péril d’être perdu sans recouvrer. Et ne pouvoit-on imaginer ni supposer autre chose que ils vouloient Calais et Guines rendre à leurs adversaires les François.

Ces paroles que je vous dis remontrées au peuple, s’esbahirent et émerveillèrent moult de gens, et commencèrent plusieurs à murmurer et dire : « Ces cas demandent punition crueuse parquoi tous s’y exemplient, et Richard de Bordeaux à être dégradé ; ni jamais n’est digne ni taillé de porter couronne ; mais doit être privé de tous honneurs, et tenu au mieux venir au pain et à l’eau en prison fermée ; et là vive tant comme il peut ! » Si les aucuns Londriens murmuroient entre eux telles paroles, moult y en avoit qui disoient tout haut : « Sire maire de Londres, et vous autres qui avez la justice à tenir et à garder, faites justice, nous le voulons ; et n’épargnez homme : car vous véez bien que les cas que vous nous avez remontrés le demandent, et tantôt, car ils sont jugés de leurs faits mêmes. » Adonc se trairent ensemble le maire de Londres et les seigneurs de la loi, et se mirent en la chambre de jugement ; et furent les quatre chevaliers jugés

  1. Ces articles, tels qu’ils furent rédigés en parlement, sont rapportés au long par Hollinshed.
  2. Guild’hall.