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LIVRE IV.

vous remontroient sagement et loyalement, et vouloient garder l’honneur et ensuivre les œuvres de leurs pères, les avez-vous traîtreusement fait mourir. Tant que à moi, je vous ai pris sus, et vous défendrai, et allongerai votre vie, en nom de pitié, tant que je pourrai. Et prierai pour vous envers les Londriens et les hoirs de ceux que vous avez fait mourir. » — « Grands mercis ! dit le roi, je me confie plus en vous que en tout le demourant d’Angleterre. » — « Vous avez droit, répondit le duc de Lancastre, car si je n’allois ou fusse allé devant la volonté du peuple, vous eussiez été ou seriez pris du peuple et dégradé à grand’confusion et dérision, et mort, par vos males œuvres qui vous font avoir celle peine et danger. » Le roi Richard entendit bien toutes ces paroles que le duc de Lancastre lui remontroit ; et ne savoit que dire ni répondre à l’encontre, car bien véoit que force et argument ne lui valoient rien, fors que douceur, amour et simplesse ; et se humilioit tant qu’il pouvoit ; et prioit toujours au duc de Lancastre que sa vie lui fût sauvée.

Quand le duc de Lancastre eut été en la tour de Londres avecques le roi Richard plus de deux heures, et toujours le plus parlant à lui et remontrant ces ignorances et mésusances dont il étoit accusé, et qui étoient toutes claires, il prit congé ; et se départit, et rentra en sa barge, et retourna par la rivière de la Tamise en son hostel ; et là se tint. Et renforça encore le lendemain ses mandemens par toutes les mettes et limitations d’Angleterre. Et vinrent à Londres son oncle le duc d’Yorch, le comte de Rostellant, fils au duc d’Yorch, le comte de Nortonbrelande, messire Thomas de Percy, son frère, auxquels le duc de Lancastre fit très bonne chère : et vinrent grand nombre de prélats, archevêques, évêques et abbés.

Adonc vint le duc de Lancastre, accompagné de ces seigneurs, prélats, ducs, comtes, barons et chevaliers, et des plus notables hommes de Londres, au chastel, et tous montés à cheval ; et descendirent en la place et entrèrent dedans le chastel ; et fut mis le roi Richard hors de la tour ; et vint en la salle appareillé et ordonné comme roi, en mantel ouvert, tenant le sceptre en sa main et la couronne dont il avoit été couronné sur son chef ; et ne fut adextré ni tenu de nulluy quand il parla, et dit ainsi, oyans tous : « J’ai été roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine et sire d’Irlande environ vingt-deux ans, laquelle royauté, seigneurie, sceptre, couronne et héritage je résigne, purement et quittement, à mon cousin Henry de Lancastre[1], et lui prie en présence de tous, en cause de possession, qu’il prenne le sceptre. »

Adonc tendit-il le sceptre au duc de Lancastre qui le prit, et tantôt il le bailla à l’archevêque de Cantorbie, lequel le prit. Secondement le roi Richard prit la couronne d’or sur son chef à deux mains, et souleva, et la mit devant lui et dit : « Henry, beau cousin et duc de Lancastre, je vous donne et rapporte celle couronne de laquelle j’ai été nommé roi d’Angleterre, et avecques ce toutes les droitures qui y appendent. »

Le duc de Lancastre la prit, Là tantôt l’archevêque d’Yorch fut appareillé qui la prit en les mains du duc. Les deux choses faites et la résignation ainsi consentie, le duc de Lancastre appela un notaire public et en demanda avoir lettres, et les témoins des prélats et des seigneurs qui là étoient. Et assez tôt après Richard de Bordeaux retourna dont il étoit issu ; et le duc de Lancastre, et tous les seigneurs qui là étoient venus, montèrent à cheval. Et en furent portés en custodes et en coffres les deux joyaux solemnels dessus nommés, et mis en la trésorerie de l’abbaye de Westmoustier ; et retournèrent tous les seigneurs chacun à son hôtel ; et attendirent le jour de conseil et de parlement qui devoit être au palais de Wesmoustier.

CHAPITRE LXXVIII.

Comment le roi Henry, duc de Lancastre, fut couronné du consentement de tout le commun d’Angleterre et de la manière de la fête.


En l’an de l’incarnation notre Seigneur mil quatre cents un moins[2] avint en Angleterre, droit en septembre, le dernier jour de celui mois, par un mardi, que Henry, duc de Lancastre, tint parlement au palais de Westmoustier

  1. Tous ces faits sont racontés en détail dans les deux Chroniques que j’ai publiées. Le moine d’Evesham donne aussi cette description avec de grands détails, et dit que Richard ne fut pas présent au parlement, et qu’on lut la résignation qu’il avait rédigée devant témoins. Il donne même en entier cette pièce et le discours de Henri IV, de Lancastre, en montant sur le trône.
  2. C’est-à-dire l’an treize cent quatre-vingt-dix-neuf.