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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/363

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LIVRE IV.

tumé avoit ; et celui matin, tous les prélats qui là étoient assemblés, et grand nombre du clergé vinrent en procession de l’église de Westmoustier, droit au palais, pour amener le roi en la dite église. Et s’en retourna la procession en ladite église, et le roi en suivant après, et tous les seigneurs avec le roi. Et les ducs, comtes et barons avoient longues houppelandes d’écarlate, et longs manteaux fourrés de menu vair, et grands chaperons aussi fourrés en telle manière ; et tous les ducs et comtes avoient trois hourlets de menu vair assises sur l’épaule senestre de un quartier de long[1] ou environ ; et les barons n’en avoient que deux ; et tous autres chevaliers et écuyers avoient houppelandes d’écarlate de livrée.

Item, en venant dudit palais â l’église, avoit sur le chef du duc un drap de soie de couleur inde à quatre bâtons d’argent et quatre clochettes d’or sonnans ; et portoient ledit ciel quatre bourgeois de Douvres, pour la cause que c’est leur droit ; et avoit à chacun côté l’épée de l’église et l’épée de justice. Et portoient, l’épée de l’église le prince de Galle son fils ains-né, et l’épée de justice messire Henry de Percy comte de Northonbrelande et connétable d’Angleterre, car le comte de Rostellant étoit déposé de cel office. Et portoit le comte de Westmerlant, maréchal d’Angleterre, le sceptre. Et entrèrent les processions, le duc et tous les seigneurs en la dite église, ainsi comme à neuf heures. Et avoit, droit au milieu de l’église, un haut hourt tout couvert de vermaux paremens, et au milieu du hourt avoit une chayère royale couverte de drap d’or. Et quand le duc fut venu en l’église il monta sur le hourt et se assit en la chayère royale ; et étoit le duc en l’état royal, fors tant qu’il n’avoit point sur le chef la couronne ni le bonnet ; et là en présent et dessus l’échafaud remontra l’archevêque de Cantorbie, par les quatre cornets de l’échafaud, au peuple, comment Dieu leur avoit transmis un homme pour être leur roi et sire. Puis demanda le dit archevêque au dit peuple si chacun le vouloit bien qu’il fût consacré et couronné à roi. Et ils répondirent, tous d’une voix, que oyl, en tendant les mains contre mont et lui promettant foi et loyauté.

Après ce dit et répondu, le duc descendit jus du hourt, et vint à l’autel pour être sacré. Et au roi Henry sacrer y avoit deux archevêques et dix évêques ; et là devant l’autel fut dévêtu de l’état royal, tout nud jusqu’à la courroie, et là en présent fut enoingt et sacré en six lieux : c’est à savoir sur le chef, en la poitrine, sur les deux épaules, et derrière entre ses deux épaules, et ès mains[2] ; et puis lui mit-on un bonnet sur

    tier. En général toutes les modifications que je remarque dans le manuscrit 8323 bis que j’ai suivi sont faites dans un sens favorable au parti d’Henri IV.

  1. C’est la chausse moderne que portent les docteurs.
  2. Je ne sais pas comment Froissart a oublié de dire ici qu’il fut oint avec l’huile donnée par la Vierge à Thomas Becket, et qui ne fut découverte que pendant le règne de Richard II, avec une inscription portant que celui qui serait oint de cette huile serait le défenseur de l’Église. Cette huile, comme celle apportée par le Saint-Esprit pour l’onction de Clovis et de ses successeurs, avait la propriété d’être intarissable. Les réformateurs auront sans doute cassé l’ampoule qui la contenait, si la Vierge n’est pas venue la remporter. Boucher, dans ses Annales d’Aquitaine (p. 3, c. iv), raconte cette aventure de Becket, d’après une prétendue lettre de Becket lui-même, écrite en latin, et dont il donne la traduction suivante :

    « Une nuit, dit Becket, comme j’étais en oraison dans le monastère Sainte-Colombe (pendant son exil en France), tantôt s’apparut à moi la benoîte Vierge Marie, ayant sur la poitrine une goutte d’eau resplendissant plus que fin or, et tenant en sa main une petite ampoulle de pierre. Et après qu’elle eut pris cette goutte d’eau et icelle mise en l’ampoulle qu’elle me bailla, me dit par ordre les paroles qui s’en suivent : « Ceci est l’onction de laquelle les rois d’Angleterre doivent être oints, non ceux qui maintenant règnent, mais ceux qui régneront ; car les à présent régnans sont mauvais, et leurs successeurs le seront, et pour leurs iniquités perdront plusieurs choses. Toutefois, aucuns rois d’Angleterre viendront, lesquels seront oints de cette onction, et seront bénins et obéissans à l’Église, et en recevront leurs terres et seigneuries jusqu’à ce qu’ils aient cette onction, le premier desquels recouvrera en paix et sans violence les terres de Normandie et d’Aquitaine, que ses prédécesseurs avoient perdues. Ce roi sera très grand entre les rois, et est celui qui édifiera mainte église en la Terre-Sainte, et chassera tous les payens de Babylone, où il érigera plusieurs beaux monastères et mettra en fuite tous ses ennemis. Et si quand il partira au combat contre eux, il sera victorieux et augmentateur de son royaume. »

    Henri IV fut le premier oint de la goutte contenue dans cette ampoule. Il ne recouvra point l’Aquitaine parce qu’elle n’était point perdue ; il ne chassa point les païens de Babylone, parce qu’il n’alla point à Babylone et qu’au contraire les païens furent tellement florissans que peu de temps après ils prirent Constantinople ; et ses descendans, au lieu d’être des bâtisseurs d’églises et de monastères et d’être obéissans à l’Église, rompirent avec elle et détruisirent tous les couvens. C’est jouer de malheur que de voir si souvent le hasard donner un démenti à une prophétie.