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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/376

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

qu’ils chevauchassent de pays en autre sur les frontières. Toutefois, tant d’un royaume comme de l’autre, avisé et regardé fut ès consaux des deux rois pour le meilleur que les trèves fussent tenues, et que plus profitables seroient pour toutes parties que la guerre ; et se approchèrent traiteurs, par le moyen que je vous dirai, à être en la marche de Calais, pourtant que le roi de France n’étoit pas en bon point ni avoit été, depuis le jour que la connoissance lui fut venue des tribulations de son fils le roi Richard d’Angleterre. Et encore lui redoublèrent-ils grandement quand il sçut qu’il étoit mort. Si que le duc de Bourgogne s’en ensoigna du côté de France plus que nuls autres, et vint à Saint-Omer ; et à Bourbourg étoient le duc de Bourbon, messire Charles de la Breth, messire Charles de Hangiers et messire Jean de Chastel-Morant ; et des prélats de leur partie le patriarche de Jérusalem, l’évêque de Paris et l’évêque d’Ausoirre ; et de la partie des Anglois étoient le comte de Northonbrelande, les comtes de Rostellant et de Devensière, messire Henry de Percy, fils au comte, et Yon Fitz-Waren ; et des prélats l’évêque de Wincestre et l’évêque d’Ely.

Les François traitoient à r’avoir devers eux la jeune roine d’Angleterre, et les Anglois n’y vouloient pas entendre du rendre ; mais disoient que volontiers la véoient en Angleterre sur son douaire ; et que si elle avoit perdu son mari, on lui en avoit un pourvu bel, jeune et gent ; où assez elle s’inclineroit ; car Richard de Bordeaux lui étoit trop vieil ; et celui que ils nommoient lui venoit tout à point, c’étoit le prince de Galles ains-né fils du roi Henry[1]. À ce traité ne s’accordèrent point les François ; car jamais ne l’eussent passé, sans le conseil, congé et ordonnance du roi son père. Or n’étoit-il pas en bon état, mais moult débilité de sa santé ; et ne trouvoit-on médecin qui se connût en sa maladie. Si fut ce traité mis arrière, et repris celui de la trève, et demené tant par l’accord de toutes parties, que il fut ordonné et juré à tenir vingt-six ans à venir et quatre ans qu’ils avoient juré ; ce furent trente ans, ainsi que la première convenance et obligation se portoit. Et furent lettres escriptes et scellées de ceux qui puissance avoient par bonnes procurations des deux rois[2]. Ces choses faites et achevées, tout homme retourna en son lieu.

Je ne vous ai pas dit que le comte Maréchal devint, par lequel toutes ces tribulations étoient avenues en Angleterre, mais je le vous dirai. Il se tenoit à Venise. Quand les nouvelles lui vinrent que le roi Henry étoit roi d’Angleterre et Richard de Bordeaux mort, il prit ces choses en si grand’déplaisance que il s’en accoucha au lit, et entra en maladie et en frénésie et mourut.

Ainsi avinrent tels meschefs sur les plus grands seigneurs d’Angleterre en l’an de grâce mil quatre cents un moins[3], et aussi fut pape Bénédict, que les François de grand’volonté avoient mis sus et soutenu, en ce temps déposé[4] ; et aussi fut le roi d’Allemagne par ses mesfaits, car les éliseurs de l’Empire, et tous les ducs et barons d’Allemagne se cloirent à l’encontre de lui et le renvoyèrent en Bohème dont il étoit roi[5], et élirent un vaillant homme et prudent pour être roi d’Allemagne ; et venoit des Bavières ; et se nommoit Robert duc de Hesleberghe ; et vint à Cologne ; et là fut-il couronné de la couronne d’Allemagne[6] car ceux d’Aix ne se vouldrent

  1. On trouve dans Rymer deux pleins-pouvoirs donnés par Henry, au sujet de cette alliance.
  2. Voyez les Fœdera de Rymer pour cet accord.
  3. C’est-à-dire 1399.
  4. Le roi de France le fit assiéger par le maréchal de Boucicaut, mais après l’avoir forcé à se sauver en 1403, on le reconnut encore une fois. En 1408, le roi de France, mécontent d’une bulle offensante pour lui, envoya de nouveau Boucicaut pour l’arrêter, et il se sauva une seconde fois. Les cardinaux avignonnais se réunirent alors aux cardinaux romains et indiquèrent pour l’année 1409 un concile à Pise, dans lequel il fut déposé, ainsi que son compétiteur le pape de Rome.
  5. Les trois électeurs ecclésiastiques et le comte palatin du Rhin, voyant les actes odieux de despotisme et de débauche de Venceslas, s’assemblèrent à Francfort le 20 août 1400, et le déposèrent. Venceslas se retira en Bohême où il ne mourut qu’en 1419. Les électeurs s’étant ensuite transportés à Rentz, élurent en sa place Frédéric, duc de Brunswick-Lunebourg ; qui fut tué deux jours après par le comte de Waldeck et n’est point compté parmi les empereurs. L’électeur de Bavière et plusieurs autres princes s’étant joints aux quatre électeurs à Lauenstein, le 24 août de la même année, on procéda à une nouvelle élection, et ce fut alors qu’on nomma Robert, comte palatin du Rhin, fils aîné de Robert-le-Ténace et de Béatrice de Sicile. Hesleberghe est mis dans le texte pour Heidelberg.
  6. Il est étonnant que Froissart n’ait pas parlé d’un événement qui eût dû attirer son attention. C’est l’arrivée de l’empereur Manuel de Constantinople à Paris en l’an 1400, pour demander des secours au roi de France. À la manière brusque dont il termine son récit, il est évident que Froissart aura été arrêté par la maladie dans la composition de son vaste et bel ouvrage.