Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
RELATIVE AU MANUSCRIT DE VALENCIENNES.

d’accompagner sous l’ombre d’un drapeau anglais. Tels furent ses premiers élémens de succès. Plus tard, quand son courage et sa bonne fortune eurent triomphé, il attribua tout à sa bonne fortune et à son seul courage.

Lorsque Froissart écrivit sa première rédaction, il était encore sous l’influence de ces premières vérités, et il les consigna dans son récit ; il y explique nettement comment les Flamands, se voyant réduits à la misère par la ruine de leurs manufactures de draps, suite de la clôture des ports anglais et de la défense d’exportation des laines par Édouard, déclarèrent à leur prince qu’il était de l’intérêt de la Flandre, toute manufacturière, de s’unir plutôt aux Anglais, qui seuls pouvaient leur fournir des laines, qu’aux Français qui ne leur fournissaient que des blés, dont ils pouvaient se pourvoir ailleurs. Il y montre comment les intérêts des nobles, alliés à la France par les liens féodaux, de famille et d’honneur, commencèrent à se séparer des intérêts des villes, alliées à l’Angleterre par des services réciproques. La concession du vicariat de l’Empire à Édouard lui paraît aussi une belle et glorieuse chose pour le monarque anglais, et il décrit avec complaisance toutes les circonstances de la cérémonie solennelle dans laquelle Louis de Bavière, assis sur le trône impérial, conféra ses pouvoirs à Édouard, confondu au nombre des électeurs qui relevaient de l’Empire. Il ne prévoyait pas qu’un temps viendrait ou Édouard, puissant de sa gloire et de ses ressources personnelles, se rappellerait avec quelque sentiment d’humiliation le jour où il se crut forcé d’abaisser sa souveraineté devant une souveraineté plus haute, et où on osa exiger, sans l’obtenir toutefois de sa fierté, qu’il prêtât serment à genoux, entre les mains de l’empereur, de remplir fidèlement son mandat. Froissart avait vu ou entendu fréquemment raconter le présent, et il le rapportait exactement, sans devancer si hardiment l’avenir. Ce présent était assez grand pour n’avoir pas besoin de couleurs empruntées à une autre époque. Le comte Gaston de Foix en faisait judicieusement la remarque à Froissart, qui lui faisait la lecture de ses ouvrages.

« Et me disoit bien le comte Gaston de Foix, dit Froissart, que l’histoire que j’avois faite et poursuivois seroit au temps à venir plus recommandée que nulles autres. Raison pourquoi, disoit-il, beau maître. Puis cinquante ans en çà sont avenus plus de faits d’armes et de merveilles au monde qu’il n’étoit trois cens ans au devant. »

Voilà pourquoi je trouve dans ce premier récit ce que je cherche inutilement dans la révision. La reine Philippe lui aura fait remarquer que ce n’était plus le temps de raconter avec pompe des événemens si petits en présence des grands événemens qui ont suivi ; elle lui aura fait sentir qu’il était bienséant de ne pas rappeler l’infirmité de l’origine à côté de la grandeur où on était parvenu ; et Froissart a tellement écourté ces événemens dans sa dernière révision qu’on en trouve à peine une simple mention. Jusqu’à la publication que je vais faire du manuscrit de Valenciennes, on en était réduit à des suppositions sur le lieu même où avait dû se passer cette cérémonie, racontée d’une manière si précise et si détaillée dans le manuscrit dont je parle. Quant à la cause toute matérielle de l’alliance des Flamands avec les Anglais, alliance si bien expliquée dans son premier récit, Froissart crut sans doute qu’il était mieux séant de la passer aussi sous silence dans sa révision et de laisser croire à des motifs d’affection désintéressée et réciproque, fort élégans à développer dans un compliment officiel, mais fort peu propres à expliquer le vrai.

Cette première narration se termine en 1340, au départ d’Édouard pour l’Angleterre, après les trêves d’un an conclues entre les deux souverains ; c’est aussi là que, dans ceux des manuscrits de sa rédaction générale qui divisent le premier livre en quatre parties, se termine la première partie, il est probable qu’avant de partir pour l’Angleterre, Froissart aura laissé à un de ses amis ou parens de Valenciennes, une copie de ce premier essai historique qui sera restée long-temps dans le pays, et que c’est sur cet exemplaire qu’aura été faite plus tard la copie du manuscrit de Valenciennes. Sa conservation dans la bibliothèque de la ville natale de Froissart est un argument de plus en faveur de cette supposition, dans l’absence du manuscrit original. Ceux qui ont lu Froissart avec