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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

CHAPITRE LIV.

À ce jour de le Trenité fu ce roy Phelippe sacrés en la grande église de Nostre Dame de Rains, présens tous ces seigneurs. Et là estoient plenté de grans seigneurs qui avoient leurs offices, qui bien le faisoient, réserve le comte de Flandres qui se traioit arrière ; dont il fu appelés en hault ; et dit-on par trois fois ; « Conte de Flandre, se vous estes céens, se venez faire vostre devoir. » Et le conte, qui bien ooit tous ces parlers, se taisoit tous cois. Lors fu de rechief appelés le tierce fois, et amonestés, de par le roy, qu’il venist avant sur quant qu’il pooit mesfaire. Et quant il s’oy amonester ensy, il vint et s’enclina au roy et dist : « Monseigneur, si on m’euist appelé Loys de Nepvers et non conte de Flandres, je me fuisse pieçà trais avant. » — « Comment, dist le roy, n’estes vous pas conte de Flandres ? » — « Sire, dist-il, j’en porte le nom, mais la seignourie et proufit y ay je malvaisement. » Dont voult le roy savoir comment c’estoit. « Monseigneur, dist le conte, ceulx de Bruges, d’Ippre, de Popringhe et de le chastellerie de Cassel m’ont bouté hors ; et escarsement puis-je estre à Gand. » Dont parla le roy et dist : « Beau cousin, nous vous jurons par le onccion que nous avons huy rechupt, que jamais ne rentrerons en Paris, se vous arons remis en paisible possession de la conté de Flandres. » Lors s’ajenouilla le conte et dist : « Mon très chier seigneur, grant merchy. » Et depuis fist le conte son devoir, moult resjoys de le promesse ; et ce fu bien raison.

CHAPITRE LV.

Après la solempnité du roy qui fu moult haulte et moult noble, ne demoura gaires que le roy fist moult espécial mandement pour aler sur Flandres ; et s’en vint à Arras ; et là assambla grant plenté de bonnes gens. Car on luy vint dire que les Flamens estoient sur le mont de Cassel. Dont vault le roy traire celle part ; et vint à tout son ost en le valée devant eulx, qui estoient sur le mont bien seize cens ; et avoient fait ung capitaine qui s’apeloit Clais Zandequin. Celui estoit moult orguilleux, hardis et outrageux ; et lui prometoient que s’il pooit desconfir le roy et son ost, qu’il en feroient un grant seigneur. Quant les Flamens virent le roi et ses gens logiés en le valée, qui moult pau les doubtoient, si prinrent leur advis, et droit sur heure de souper, qu’ils se partiroient de desus le mont, et sans point de noise. S’avoient ordonné trois batailles, desquelles ly une en vint droit à le tente du roy ; et fu si souppris en séant à son souper, que en leur venir tuèrent messire Regnault de Loire ; et la seconde bataille s’en ala droit à le tente du roy de Behaigne, et l’eurent près decheu ; et la tierce s’en ala droit aux tentes le conte de Haynnau, qui fu près prins des Flamans ; à grant paine eurent-ils espasse d’eulx armer.

CHAPITRE LVI.

Ainsi vinrent les trois batailles jusques aux tentes des seigneurs si paisiblement que à grant paine se peurent armer ne leurs gens assambler ; et se Dieux ne l’euist fait par droit miracle, ils euissent esté perdus et desconfis. Si advint que chascune partie des seigneurs desconfist sa bataille, si entièrement et tout à une heure, que de tous ces seize mille Flamens n’en eschappa point mille. Et fu vray que le conte de Haynnau, messire Jehan son frère, et tous les autres Haynnuiers eurent premiers desconfit leur bataille, car ossy ce furent les premiers assaly ; et les Flamens passèrent se hardiement avant que, quant ils cuidèrent retourner, Haynnuiers les eurent si enclos par derière à leur encontre que les Flamens n’y sceurent remédier ; mais durement s’i emploièrent et vendirent, car ils avoient haches et pafus, maques et piques dont ils féroient grans cops. Et y rechurent ces Haynnuiers grant paine et perte d’aucunes gens ; et en y eut de bien batus, et moult de leurs chevaulx mors ; et puis leurs anemis desconfis, ils tournèrent leur bataille sur la bataille des Flamens que le roi avoit devant luy, lequel avoit la plus grosse, en criant : « Haynnau ! Haynnau. » Là se porta moult bien le conte et son frère, et là eut moult grande mortalité de Flamens. Si fu tués ung bon escuier de Haynnau, appelés le Borgne de Robersart, par son oultrage, car il se desrouta en cachant les Flamens, et si avant les sieuwy qu’ils te tuèrent. Si fu moult plains de ceulx qui le congnoissoient, car il estoit moult bons homme d’arme et hardis. Ceste bataille fu moult dure et aspre ; et bien s’i vendirent Flamens ; mais finalement tant furent combatus qu’ils furent mors et desconfis. Si portèrent les Haynnuiers leur banière sur le mont le premier, et puis le roy de France envoia saisir la