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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/456

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RÉDACTION PRIMITIVE

estoit. Si s’ajenoulla devant lui, et fist la révérence en présentant ses lettres, de par les seigneurs et gardes du pays de Gascogne. Dont le roy et tous les barons eurent grant joie, car ils pensoient bien ouïr pluiseurs nouvelles.

CHAPITRE CV.

Quant le roi eut bien-vingniet son hérault et ses lettres luttes, si lui dit : « Nostre amy Gardoel, dittes des nouvelles et vos crédences. » Dont dist le hérault : « Sire, il est vérité qu’il y a ung chevalier de là la mer qui s’apelle le sire de Noielle, et est Poitevins, qui dist et maintient : que pour pluiseurs services qu’il fist au roy vostre père, on lui doit la somme de trente mille florins ; et l’en fu baillié en plesge la ville et chastellerie de Condom ; dont si comme il dist, il n’en pooit avoir nul paiement ; si s’en plaindy au roy de France, et monstra ses lettres, et fu remis en le chambre de parlement ; et là lui fu adjugié que vous estiés tenus en celle debte, et à rendre tous coulx et frais qui de ce se sont ensievy. Dont, pour exécuter ces explois, il eut commision générale à prendre et lever par tout en vostre terre de Gascongne, tant qu’il fust satisfiés de la somme dessus diste et des frais qui en sont. Et y establi le roy ung procureur, appelé maistre Remon, à le prière du chevalier ; et par la virtu de la procuracion, il vinrent à Condom, et se volrent mettre en saisine dudit chastel ; et eurent tant de parolles au chastelain, qu’ils se couroucèrent l’un à l’autre ; et tant y eust que le chastellain féry maistre Remon d’ung gros baston, si qu’il lui rompy le teste, présent le sire de Noïelle ; et prist le chevalier et mist en prison, en disant qu’il estoit moult oultrageux, qui tels explois osoit faire sur les héritages du roy d’Engleterre. S’a de ce eu le roy de France grant indignacion ; et dist que vostre terre par de là, pour ceste cause est confiquie, avec autres mesfais que vous ayez fais. Si y sont envoié ces grans seigneurs cy dessus nommés, qui font très grant guerre et si dure qu’ils ont jà pris Prudère, Sainte Basille et Saint Makaire. Et quant je me partis du pays il séoient devant Peme et devant Blayes. Si vous prient les seigneurs et bonnes villes du pays que vous les confortez hastivement, ou vous les porez perdre. »

CHAPITRE CVI.

Quant le roy d’Engleterre eut oy toutes les paroles du hérault, si fu moult pensieux ; et puis se tourna vers les barons de grant coer, et leur dist : « Vechy bien à conseillier. » — « En nom Dieu, dirent les pluiseurs, le conseil doit estre brief, car à ce convient entendre brief. » — « Vous dittes bon, dist le roi ; advisons qui yra pour furnir ceste besongne. » Dont dist messire Robert d’Artois : « Sire, je m’en chargeray, s’il vous plaist. » — « Certes, dist le roy, je vous en pensoie prier ; or vous pourvéez hastivement. » Depuis ne demoura gaires que messire Robert d’Artois se party d’Engleterre, acompaigniés de cinq cens armures de fer et quatre mille archiers. Si montèrent au havre de Hantosne bien pourvéus et ordonnés ; et singlèrent tant parmy l’eauwe qu’ils arivèrent au havre de Bordeaux. Dont toute la cité eut grant’joie ; et furent grandement confortés. Là estoient deux nobles chevaliers frères, messire Hélies de Pomiers et messire Jehan son frère, qui vinrent sur le sablon à l’encontre d’eulx, et tous les nobles de la ville, qui moult désiroient le secours. Dont issirent hors messire Robert et tous les autres, et s’en vinrent à piet à leurs hosteulx. Là se rafresquirent à grant joie par trois jours ; et puis prinrent conseil quel part ils yroient. S’eurent conseil qu’ils yroient droit à Peme, lever le siége s’ils pooient. Si s’ordonnèrent par matin, et sonnèrent leurs trompettes, et ordonnèrent leur aroy et leur pourvéance. Lors fist messire Robert, marissal de toute l’ost le conte de Suffort. Si chevaucèrent devers le chastel, à huit cents hommes d’armes, trois mille archiers à cheval et quatre mille hommes à piet. Ce fut environ l’Assencion, l’an mil trois cens trente sept.

CHAPITRE CVII.

Quant le conte de Fois, et tous les autres François qui là estoient devant le chastel, oyrent ces nouvelles, que Englès et Gascons venoient à pooir, ils furent tous esmaié ; et eulx qui ne se sentoient point fors assez pour attendre le fais, eurent advis qu’il partiroient de là, car ils estoient trop longs de leur grosse bataille qui estoit devant Blayes, et la rivière de Dourdonne estoit aussi entre eulx et leur ost. Si se délogèrent, et s’en alèrent devers Blayes ; et quant les