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RÉDACTION PRIMITIVE

toutes les appendances, en foy et en hommage à tenir de lui ; lequel en prist la possession, et y mena madamme sa femme demourer.

CHAPITRE CXXV.

Quant le roy de France eut ainsi ordonné et fait pourvéir sur chascune frontière par son royalme, si escripsi au conte de Flandres son cousin, comme aultre fois lui avoit escript : qu’il tenist ses gens à amour, par quoy Englès n’euissent nulles aliances à eulx. Et leur manda qu’il leur tenroit ouvers les pas de Tournay, de Béthune, de Saint-Omer et par toute la rivière de l’Escault, pour avoir bleds et pourvéances pour réconforter leur pays. Et leur fist-on remonstrer par les bonnes villes ; mais il ne leur souffist point, car ils amoient mieulx la marchandise d’Engleterre. Si ne les pooit-on rapaisier ; et ossy Jaquemon d’Artevelle ne si accordoit point.

CHAPITRE CXXVI.

Or vous diray comment le conte Derby et se route estoient sur mer pour venir vers Gagant. Si estoient mis au havre de Tamise ; et vinrent celle première marée jésir devant Gravesen, bien pourvéus de vaissiaux et abilliés d’artilleries. Et estoient de gent jusques au nombre de deux mille archiers et huit cens armures de fer. À le seconde marée ils vinrent devant Mergatte, et furent là le soir ; et ung poy après mie nuyt se désancrèrent, et tendirent leurs voilles à plain, car ils avoient vent à souhait, et singlèrent en mer toute jour. Si vinrent assez près de Gagant à heure de nonne. Ce fu le nuit Saint Martin en yver, l’an dessus dit.

CHAPITRE CXXVII.

Quant les Englès virent le ville de Gagant leur il tendoient à venir, si regardèrent qu’ils avoient le vent pour eulx ; et dirent que en nom de Saint George, ils approceroient. Dont se mirent en ordonnance et tirent sonner leurs trompettes. Si singlèrent fort vers la ville. Moult bien estoient veu des gaittes ; par quoy ceulx de dedans s’estoient armés et rengiet sur le diques. Et là firent les Flamens bien dix-huit nouveaux chevaliers. Si pooient estre au nombre de quatre mille hommes ; et y avoit de bons et appers bacheliers, ainsi que bien le monstrèrent. Là estoit messire Guy de Flandres, bon chevalier et seur, qui bien amonestoit à ses gens de bien faire. Sitost qu’ils vinrent l’un devant l’autre, il n’y eut rien parlementé ; mais noblement s’ordonnèrent l’un contre l’autre en criant leurs cris ; et firent tirer leurs archiers moult radement ; tant que ceulx qui les diques deffendoient furent durement mehaigniet à leur venir ; et convint, vosissent ou non, qu’ils reculaissent. Et prinrent les Englès terre, et se vinrent combattre main à main, d’espées, de haces et de glaves. Et là eut plusieurs belles bacheleries et appertises d’armes ; et moult souffisamment se combatoient Englès ; et certainement ossi faisoient les Flamens, et moult oultrageusement se deffendoient. Là, au prendre terre au dit havre de Gagant, fu la bataille dure et fierre ; et les Flamens qui là estoient s’i aquitèrent vaillamment ; mais tant se combatirent que les Englès obtinrent la place, et furent Flamens mis à cace. Si en y eut bien de deux à trois mille mors, qu’en la place qu’en la cache, que sur les rues que en ès maisons. Et là fu messire Guys le bastar de Flandres pris ; messire le Ducre de Halluin mors ; messire Jehan de Roddes, les deux frères de Bruquedent, messire Gille de le Triest, et pluiseurs autres, environ vingt-six chevaliers et escuiers, y furent mors en bon et vaillant convenant. Là fu la ville prise et pillie ; et tout l’avoir mis ès vaisseaux avec les prisonniers ; et puis y boutèrent le feu et l’ardirent toute. Après s’en retournèrent Englès, à tout leur gaingnage, nonobstant que ce ne fu point sans perdre de leurs gens. Si contèrent au roy leur aventure, qui moult en fut joyeux, pour la première qui leur estoit advenue. Adont fist le roy messire Guy de Flandres créanter sa foy et obligier prisonnier ; lequel le fist ; et par les promesses que les Englès lui firent en celle meisme année, il se tourna Englès, et devint homs au roy d’Engleterre par convoitise. Et sachiés que le conte de Flandres son frère en fu moult courouchiés.

CHAPITRE CXXVIII.

Après le desconfiture de Gagant, ces nouvelles espandues en moult de lieux et par espécial aval Flandres, eurent advis les consaulx des bonnes villes, par le conseil et ennort de Jaquemon