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RÉDACTION PRIMITIVE

donna grans dons et joiaux au partir. Ainsi se partirent Flamens et s’en ralèrent en Flandres ; et Artevelle s’en rala à Gant, qui souvent aloit à Ampvers devers le roy, et lui prometoit qu’il le feroit encore seigneur de Flandres. Et quoy que Flamens s’escusaissent, il lui prometoit qu’il lui feroit avoir cent mille hommes quant besoing lui seroit, pour ardoir auquel costé qu’il volroit. S’en avoit le roy grant joie, car il en atendoit grant confort.

CHAPITRE CXXXI.

Par ainsi estoit Artevelle bien amés du roy, et en Flandres cremus et doubtés ; car depuis que le conte fu partis, il régna comme sire, et tenoit grant estat et puissant. Si avoit plenté de sodoiers pour son corps garder ; et aussi avoit-il par toutes les bonnes villes sergans à ses gaiges qui faisoient ses commandemens ; et faisoit espier s’il y avoit nulluy, qui fust rebelles ne contraires à luy, ne qui murmuraissent contre ses fais. Et si tost qu’il en y avoit aucuns, il estoient bany ou tué, et espécialment chevaliers, escuiers, puissans bourgois et toutte puissant gens, puis qu’ils avoient point ne pau d’amour au conte et non à luy. Et en y eut moult de banis ; dont il leva la moitié des revenues, et l’autre moitié demouroit à leurs fammes et à enfans. Il faisoit lever les rentes, les tonlieux, les wingnaiges, les droitures, et toutes revenues que le conte devoit avoir et que à lui appartenoit, quel part que ce fust. Si les despendoit à sa volenté ; et donnoit où il lui plaisoit, sans compte rendre à nulluy. On ne treuve que nuls prinches ait pays si à sa voulenté que celui l’eut, le terme de neuf ans. Et quant argent lui faloit, on l’en créoit ; et croire l’en convenoit, car nuls n’osoit dire à l’encontre. Et quant il en demandoit à emprunter à aucun puissant bourgois sur ses paiemens, il n’estoit si grant qui refuser lui osast, si fort estoit-il fortunés pour ce temps.

CHAPITRE CXXXII.

Vous avez bien oy comment le roy de France avoit escript et mandé au conte de Haynnau et au duc de Brabant, que bien se gardaissent qu’ils ne presissent nulles aliances au roy d’Engleterre ; et s’ils le faisoient il les arderoit. Nonobstant ce, s’estoient il si enclins devers les Englès qu’ils estoient souvent aux parlemens du roy d’Engleterre, par espécial le duc, car jà estoit il convenanciés devers le roy. Mais le josne conte de Haynnau non ; car, où il en estoit requis, il disoit bien que jà ne guerrieroit le roy de France son oncle, s’il ne lui avoit avant mesfait devers luy. Or envoia le duc de Brabant ung sien chevalier, monseigneur Loys de Crenehem, sage homme et bien enlangagiet, pour lui escuser devers le roy de France. Et disoit le duc ainsi, par le bouce du dit chevalier : que nullement il ne voloit faire ne penser au desplaisir du roy de France ; mais le roy d’Engleterre estoit son cousin germain ; si ne lui pooit bonnement refuser son pays, pour aler, venir, passer et rapasser, parmy paiant les deniers. Ensi se détria ceste chose grant temps, et tant que le roy d’Engleterre assambla ung grant parlement en Ampvers ; et y furent le duc de Brabant, le duc de Guerles, le marquis de Jullers, le conte de Clèves, le conte de Salmes, le marquis de Brandebourch, le sire de Franquemont et messire Jehan de Haynnau. Moult honourablement les rechupt le roi d’Engleterre, et festia en moult de manières. Après ce les trait à conseil, et leur remonstra moult doucement toutes ses besongnes, et leur pria qu’ils fuissent conseilliés de luy faire response, car il estoit là venus pour parler à eulx, et sur leur fiance tout prest que d’aler avant en son fait. Adont se conseillièrent moult longhement, car la besongne estoit grande et fort leur pesoit ; et touttes voies ils rewardèrent adès le duc de Brabant qui n’en faisoit point bonne chière ; et il leur sambloit que c’estoit celui qui mieulx le devoit faire. Quant ils furent assez conseilliés, ils respondirent en disant : « Chier seigneur, quant nous venismes cy, nous y venismes plus pour vous véoir que pour autre chose ; si ne sumes point pourvéu ne avisé pour respondre sur les requestes que faistes nous avez. Si nous retrairons arière devers nos gens, et revenrons à vous à ung certain jour, quant vous plaira, et adont responderons à plain. » Quant le roy oy ce, il dist que bien lui plaisoit ; et toutes voies leur pria que ils s’esploitaissent d’estre conseilliés pour revenir tost vers luy, qui estoit à grans frais pour atendre leur response ; dont jamais ne se partiroit si l’aroit. Adont lui eurent en covent, à trois sepmaines après le Saint Jehan, du revenir sans faulte. Et là demoura le roy et la roynne en l’ab-