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D’UNE PARTIE DU PREMIER LIVRE.

biens, et doivent aler partout où l’empereur les vorra mener, ou ses lieux-tenans, pour les drois de l’Empire garder. Et le quinte demande fu : « Comment le tenable de l’Empire doivent desfier l’un l’autre en cas de guerre. » Ce jugement fu tournés sur le marquis de Brandebourc. Lui conseillié dist, que celui qui desfie ne peut ne doit porter dommage au desfié dedens trois jours, et où il feroit du contraire, il doit estre deshonourés et mis hors de toutes lois.

CHAPITRE CXXXIX.

Après ces choses ainsi faites tantost l’empereur dist, oyant tous : « J’ay esté couronnés roy d’Alemaingne grant temps, et à empereur, comme vous savés ; et croy que je n’ay sur nulles de mes gens mespris, ne envers sainte Église, ne ses ministres ; et se nuls pooit faire apparoir que fait l’euisse, je le volroie rendre jusques raison. Si vous dy que je me sui aloiés avec pluiseurs prélas et barons d’Alemaingne au roy d’Engleterre qui cy est, et l’ay fait pour le mieulx faire que laissier. Et cy, en vostre présence, je fay et establi le roy d’Engleterre mon vicaire et lieutenant, partout et en toutes causes. Si veul que tous tenans voisent, aydent et confortent ce roy comme vicaire, partout où mener les voira. »

CHAPITRE CXL.

Après ces jugemens ainsi fais, l’empereur appella tabellions publiques, et leur commanda à faire instrumens, et que toutes ces choses fussent mises ès drois des empereurs, tenues fermes et estables en temps advenir. Et aussi lui donna puissance imperéal de forgier parmi l’Empire toutes manières de florins et aultres monnoies ; et commenda à tous subgets qu’ils y obéysent comme à son propre corps, et que tous fuissent apparilliés à sa semonse sans delay, de desfier le roy de France. Et fist de ce certains procureurs et commissaires, pour renouveller le roy d’Engleterre tous estas, et lui y assir en siége impérial. De quoy le duc de Guerles, que paravant on appeloit conte, fu nommés et fais duc, et le conte de Jullers, qui paravant estoit nommés marquis. Ainsi ces choses faictes, prinrent congiet ; et en rala chascun en son lieu ; et le roy d’Engleterre revint en Brabant.

CHAPITRE CXLI.

Vous avez bien oy conter comment le roy de, France mist sur mer grans garnisons de Genevois et Normans pour grever les Englès. À ung jour vinrent devant Douvres. Avint que ces escumeurs vinrent à ung dimence, bien vingt mille, devant Hantosne, à heure de messe que les gens estoient au moustier ; et prinrent le marée si à point qu’ils entrèrent au hâvre, et furent maîtres de le ville et des gens. Si les prinrent, roubèrent, et tuèrent plenté de peuple, fammes et enfans, et querquèrent leurs vaisseaux de tout l’avoir. Si envoièrent ardoir, par aucuns de leurs coureurs, aucuns vilages à l’entour ; de quoy le pays fu moult effraés et esmeus ; et en vinrent les nouvelles jusques à Londres. Lors s’armèrent moult de gent à cheval et à pié au plus tost qu’ils peurent ; mais ils trouvèrent que les François estoient tous retrais, et qu’ils avoient la ville toutte arse et gastée ; dont ils furent moult courrouchiés, et le roy de France joieux ; et dist que Barbe-naire avoit bien commenchié sur les Englès.

CHAPITRE CXLII.

Or estoit le roy d’Engleterre revenus en Ampvers. Si vint messire Gautier de Maugny devant le roy ; et prist congié de luy, et aucuns compaignons, d’aler faire aucune appertise. Il eut congiet, et prist environ soixante compaignons bien montés à cheval ; secrètement passa parmy Brabant et Haynnau ; et vint à ung soir ens ès bos de Blaton dalez Condet. Encore ne savoit personne de sa routte quel part il voloit traire ; et là s’en descouvry, et leur dist qu’il avoit entente d’aler ébastre devant Mortaigne. Adont rechainglèrent leurs chevaulx et se mirent tout à point, et chevaucèrent tout souef ; et à la journée vinrent si à point devant Mortaigne qu’ils trouvèrent le wiquet de la porte ouvert. Si rompirent le flaiel et en furent maistre. Et chevaucèrent vers le chastel et le grosse tour, mais ils le trouvèrent fremé ; se n’y peurent entrer. Le gaitte du chastel oy le friente ; si sonna sa buisine et cria : « Tray ! tray ! » Dont s’estourmirent ceulx de laiens et crièrent ; « Alarme ! » Et quant messire Gautier de Maugny vit qu’il avoit faly d’entrer ou fort, et que les sodoiers s’abilloient, adfin qu’il parust qu’il y avoit esté, et que une