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BIOGRAPHIE

« Se temps avoïe dou parler,
« Et que ci fuissiemes nous doi
« Je le vous diroie par foi. »
Et elle un petit me regarde,
Ensi qu’on ne s’en presist garde,
Et me dist seulement : « Fériés ?
« Es-se à bon sens que me voudriés
« Amer ? » Et à ces cops se liève
Et dist : « Dansons ; pas ne me griève
« Li esbatemens de la danse. »
Lors entrames en l’ordenansce
De danser une longe espasse.
Il n’est esbanois qui ne passe.
De cesti là nous partesins
Et de son bel ostel issins ;
Mès au partement congié pris
À la belle et bonne de pris
Qui le me donna liement.
Ne le sceuist faire aultrement,
Car elle a si très lie chière
Qu’on l’en doit bien tenir pour chière.
Tout ensi passoïe le temps.
Une heure je venoie à temps
De li véoir, et l’autre non.
La belle et bonne de renom
M’avoit le coer saisi si fort
Que point n’avoïe de confort
Le jour, se véu ne l’avoie.
Et quant à la fois je savoie
Qu’en aucun lieu aloit esbatre,
Pas n’i fausisse de l’embatre,
Mès que sa paix véoir y peusse.
Jà aultrement ale n’i eusse.
Or entrai en merancolie,
De ce qu’elle estoit ossi lie
Aux aultres gens qu’elle ert à moi ;
Et je, qui de fin coer l’amoi,
En disoie souvent : « Hé mi !
« Celle a fait un nouvel ami.
« Elle jue et rit à cascun ;
« Si regard sont trop de commun. »
Ensi disoïe moult pensieus,
Et souvent d’uns moult piteus yeus
Le regardoïe. En ce regard
Looie moult, se Diex me gard !
Sa bonté, sa beauté, ses fais,
Et disoïe : « S’un pesant fais
« M’a amours envoyé pour elle,
« Ne m’en chaut ; pour tele pucelle
« Deveroit-on mort recevoir.
« Mès qu’elle scevist bien de voir
« Que mors je fuisse en son servisse,
« Ne le tenroïe pas pour visce. »
Qui est en pensée nouvelle.
Peu de chose le renouvelle.
Souvent pensoïe sus et jus ;
Et à la fois à aucuns jus
Aux quels s’esbatent jone gent.
Juoie de coer lie et gent,
Mès que ma dame y fust, pour voir,
Ou qu’elle m’i pevist véoir.
Et pour très petite ocquoison
Passoïe devant sa maison,
Et jettoïe mes yex vers elle.
Et quant il plaisoit à la belle
Que de li un regart euisse,
Tout erramment en coer sceuisse
S’il estoit amoureus ou non.
Tels demande souvent grant don
Auquel pas on ne li otrie
Sitos qu’il vodra quand il prie ;
Je m’en sçai bien à quoi tenir.
Il m’a convenu soustenir
Moult de grief, dont petit don ai.
En ce temps que mon coer donnai,
Sans departir, tout à ma dame,
Par amours qui les coer entame,
Une heure si très liés estoie
Qu’à toute chose m’esbatoie,
Et une aultre si très pensieus
Qu’en terre clinoie mes yeuls,
Et ne faisoïe de riens compte
S’il ne me portoit blasme ou honte.
Je m’avisai à très grant painne
Que ma dame très souverainne
Ses venirs et alers avoit
À une femme, qui savoit
De ses secrés une partie ;
Je me très vers celle partie.
Car aillours ne m’osaisse traire.
Pour ma nécessité retraire,
Ensi di, quant je fui venus :
« Damoiselle, nulle ne nuls,
« Fors vous, ne me poet conseillier,
« Se vous y voliés travillier.
« Et ve-me-ci, vo valeston,
« Pour entrer en un baneston
« Se le me commandiés en l’eure. »
Et celle qui me volt sequeure
Me respondi tout erramment :
« Or me dittes hardiement
« Tout ce que il vous plaist à dire ;
« Et, foi que doi à nostre sire,
« Là metterai, à mon pooir,
« Conseil et confort, tout pour voir. »
— « Ahi ! di-je, vostre merci !
« En vérité dont tout muir ci
« Pour celle. Nommer li alai ;
« Voirs est qu’un petit l’en parlai
« L’autre fois. Mès depuis sans doubte,