Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome III, 1835.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
499
DE SIRE JEAN FROISSART.

Car s’en noncaloir me mettoie
Et d’autre soing m’entremettoie,
Je ne poroie revenir
De légier à mon souvenir.
Pour ce le vodrai avant mettre,
Et moi liement entremettre
De quant qu’à ma memoire sent
Dou temps passé et dou présent.
Aussi nature qui m’a fet,
Créé et nouri de son fet,
Et qui encor de jour en jour
Me preste loisir et sejour
Que de ce que j’ai je m’avise
Et ce que je scai je devise,
Se plainderoit, où que je soie,
De moi voir, se je me cessoie ;
Et bien auroit raison et cause.
Nulle escusance je n’i cause ;
Car pour ce m’a-elle ordonné,
Sens et entendement donné,
Que je remonstre en plain ventele
Ce que je scai, dont je me mele,
C’est que de faire beaus dittiers
Qu’on list et qu’on voit volontiers,
Espécialment toutes gens
Qui ont les coers discrès et gens.
Ce n’est mie pour les villains ;
Car, ensi m’ayt sains Gillains !
Que je m’avroie assés plus chier
À taire et en requoi mucier
Que jà villains evist dou mien
Chose qui li fesist nul bien.
Ce n’est fors que pour les jolis
Qui prendent solas et delis
À l’oïr, et qui compte en font.
Pour ceuls servir mon coer tout font
En plaisance, et se m’i delitte
Que grandement j’en abilite
L’entendement et le corage,
De quoi nature m’encorage ;
C’est que je monstre et que je die
À quoi je pense et estudie.
Et je sui tous près d’obéir,
Ensi com vous porés véir.
Diex, par sa grasce me deffende,
Que nature jamès n’offende !
Jà fu un temps que l’offendi,
Mès le guerredon m’en rendi ;
Car elle qui eslève mot,
Sans ce qu’onques en sonnast mot,
Elle me fist, ci se miron,
Descendre ou pié dou sommiron.
Or y ot tant de bien pour mi,
Ensi qu’on dist à son ami
Et qu’on ramentoit les grans plueves.
En jonèce me vint cils flueves ;
Car s’en viellece m’euist pris
J’euisse esté trop dur apris.
Jonèce endure moult d’assaus ;
Mès en viellece nuls n’est saus.
Pour ce fu dit en reprouvier :
En jone homme a grant recouvrier.
Si fui-je esprit de grant anui
Si tos que je me recognui.
Mès tout seul, pour oster l’escandle
Dont je voeil ores qu’on m’escandle,
Me mesfis, dont moult me repens ;
Car j’ai repris à mes despens
Ce de quoi je me hontioie ;
Dont grandement m’abestioie,
Car mieuls vault science qu’argens.
Point ne le semble aux pluisours gens
Qui ne scevent que bienfais monte.
Ançois me comptoïent pour honte
Ce qui m’a fait et envay
Et dont je vail. Ahy ! ahy !
Et comment le pooie faire ?
Or me cuidai trop bien parfaire,
Pour prendre aillours ma calandise.
Si me mis en la marchandise
Où je sui ossi bien de taille
Que d’entrer ens une bataille
Où je me trouveroie envis.
Quant je m’avise et je devis
Comment oultrages et folie
Me misent en melancolie
Que dou don de nature perdre,
Pensées me viennent aherdre
Qui me font sainnier à merveilles.
.................
« Néis ! que diront li seigneur
« Dont tu as tant éu dou leur
« Les roix, les dus et li bon conte
« Desquels tu ne scés pas le compte,
« Les dames et li chevalier ?
« Foi que je dois à Saint Valier !
« À mal employé le tendraient ;
« Et aultre fois il retendroient
« Leurs grans largheces et leurs dons
« Et de droit aussi li pardons
« Ne t’en deveroit estre feis,
« Quant tu es nouris et parfais,
« Et si as discretion d’omme,
« Et la science, qui se nomme
« Entre les amoureuses gens
« Et les nobles, li Mestiers Gens ;
« Car tous coers amoureus esgaie,
« Tant en est li oye gaie !
« Et tu le voes mettre hors voie,
« Si que jamès nuls ne le voie !