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BIOGRAPHIE

« Il ne fait pas à consentir.
« Bien t’en poroies repentir.
« Or fai dont tost ; et si t’esveilles,
« Tu ne laboures ne traveilles
« De nulle painne manuele ;
« Ançois as ta rente annuele
« Qui te revient de jour en jour.
« En grant aise prens ton séjour.
« Tu n’as ne femme ne enfans,
« Tu as ne terres ne ahans,
« Qui ne soient tout mis à cense.
« Pour vérité je te recense,
« Se Diex vosist, il t’euist fait
« Un laboureur grant et parfait
« À une contenance estragne,
« Ou un bateur en une gragne,
« Un maçon ou un aultre ouvrier ;
« Je n’ai cure quel manouvrier ;
« Et il t’a donné la science
« De quoi tu poes par conscience
« Loer Dieu et servir le monde.
« Or fai dont tos, et si le monde ;
« Et respont, sans plus colyer
« Qui te fait melancolyer. »
Ensi me vient philosophie
Visiter, et dire à la fie
Parolles qui me font debatre
Pour moi en argumens embatre.
Et je respons à la volée :
« Dame, dame, trop afolée
« Est ma science en pluisours lieus
« Par receveurs et par baillieus,
« Par officiers et par gens
« Qui assemblent les grans argens
« Pour leurs enfans et pour leurs hoirs,
« Et font faire les grans manoirs
« Où il se dorment et reposent,
« Et à painnes les seignours osent
« Dire quel chose il leur besongne,
« Mès quant il croist une besongne
« Pourfitable à ceuls dessus dis,
« Jà ne s’en ira escondis
« Ne marchéans ne couletiers.
« Il ont bien des seignours le tiers
« De tout ce qu’il ont de chevance.
« Ce grandement les desavance
« Et retrence leurs dons parmi.
« Quant bien g’i pense, he mi ! he mi !
« Je sui, foi que je dois mes ans !
« De tous bien faire si pesans
« Qu’à painnes puis je riens gloser.
« Pour Dieu laissiés moi reposer.
« Vous dittes que bons jours m’ajourne
« Et qu’en grant aise je sejourne,
« Je le vous accorde : à tant paix. »
Lors dist elle : « Se tu te tais,
« Tu m’esmouveras en grant ire.
« Encores t’en voeil je tant dire,
« Et s’en poras bien valoir mains.
« Je te pri ; nomme nous au mains
« Les seignours que tu as véus
« Et dont tu as les biens éus ;
« Si prenderont leurs hoirs exemple. »
— « Volontiers ! Premiers vous exemple
« La bonne, qui pourist en terre,
« Qui fu royne d’Engleterre ;
« Phelippe ot nom la noble dame.
« Propisces li soit Diex à l’âme !
« J’en sui bien tenus de pryer
« Et ses largheces escryer,
« Car elle me fist et créa ;
« Ne onques voir ne s’effréa,
« Ne ne fu son coer saoulés
« De donner le sien à tous lés.
« Aussi sa fille de Lancastre.
« Haro ! mettés moi une emplastre
« Sus le coer, car, quant m’en souvient,
« Certes souspirer me convient,
« Tant sui plains de mélancolie !
« Elle morut jone et jolie
« Environ de vingt et deux ans,
« Gaie, lie, friche, esbatans,
« Douce, simple, d’humble samblance.
« La bonne dame ot à nom Blance.
« J’ai trop perdu en ces deux dames ;
« J’en tors mes poins, j’en bac mes palmes.
« Encor ot la noble royne
« Une fille de bonne orine,
« Ysabiel, et de Couci dame.
« Je doi moult bien proyer pour s’âme ;
« Car je le trouvai moult courtoise
« Ançois qu’elle passast oultre Oise.
« Le roy d’Engleterre autant bien ;
« Son père me fist jà grant bien,
« Car cent florins, tout d’un arroi,
« Reçus à un seul don dou roy.
« Aussi dou comte de Herfort
« Pris une fois grant reconfort.
« Des dons monseigneur de Mauni
« Me lo ; ne pas ne les reni.
« Et son fils de Pennebruc, voir !
« En a moult bien fait son devoir. »
— « Et le grant seigneur Espensier
« Qui de larghece est despensier
« Que-t’a-il fait ? — « Quoi ! di-je ; assés ;
« Car il ne fu onques lassés
« De moi donner, quel part qu’il fust.
« Ce n’estoient cailliel ne fust,
« Mès chevaus et florins sans compte ;
« Entre mes mestres je le compte